Pour verser le
premier cinquième de l’indemnité de 150 millions de francs imposée par la France, Haïti emprunta à la
fin de 1825 sur le marché des obligations à la Bourse de Paris 30 millions de
francs à 80%. Cet emprunt (capital et intérêts) fut remboursé de 1826 à
1893. Le présent article résume un peu l’histoire de cet emprunt et de son
remboursement.
L’Ordonnance du 17 avril 1825
L’article 2
de l’ordonnance de 1825 [1] fixait à 150 millions de francs le montant de
l’indemnité à verser par Haïti pour dédommager les anciens colons qui ont été
privés de la jouissance du leurs propriétés à Saint-Domingue depuis la guerre contre la
France (1791-1803). Cette somme, selon la France, représentait 10% de la valeur
des biens des colons en 1789 [2].
L’article 2 de l’Ordonnance fixait aussi le mode de paiement de l’indemnité.
Le paiement du premier
cinquième de l’indemnité devait s’effectuer le ou avant le 31 décembre 1825. Le paiement
complet devait s’échelonner sur 5 ans. Le taux d’intérêt était nul. Les
versements demandés étaient égaux; ils s’élevaient donc à 30 millions de francs
par an.
Comment Haïti obtint-elle 24 des 30
millions de francs du premier cinquième de l’indemnité ?
Le Président
Boyer envoya en France trois commissaires : le sénateur Daumec (qui mourut
en France au cours de sa mission), le sénateur Rouanez et le colonel Frémont.
Ils avaient pour mandat:
- de contracter sur le marché financier en France un emprunt de 30 millions de francs pour payer le premier cinquième de l’indemnité qui arrivait à échéance le 31 décembre 1825;
- de conclure un traité commercial avec la France en vue de lever les ambiguïtés de l’ordonnance de Charles X.
L.- G.
Ternaux [4] avait
préparé en octobre 1825, pour le Duc de La Rochefoucault Liancourt, un
document qui vantait de manière surréaliste les capacités de payer du nouvel
État d’Haïti s’il contractait des emprunts sur le marché financier en France.
Ce document fut communiqué au public de l’époque pour les convaincre d’investir
dans les obligations de l’emprunt d’Haïti. Les journaux de l'époque relayaient le contenu du rapport de Ternaux.
Au début
d’octobre 1825, la banque Ternaux et Gandolphe prépara les documents relatifs à
un emprunt projeté pour Haïti d’une somme de 30 millions de francs remboursable en 25
ans. Un appel d’offre fut lancé dans le but de trouver une banque (ou un groupe
de banquiers) qui offrirait à Haïti le montant le plus élevé pour l’achat de
30 000 obligations de valeur nominale 1000 francs chacune.
L’emprunt
devait donc être vendu par adjudication à un groupe de banquiers qui offrirait les
meilleures conditions à Haïti. Dans ce genre d’opérations, le groupe de
banquiers offrirait de verser à Haïti un montant inférieur à 1000 francs par
obligation, mais son offre devrait être la plus proche possible de la valeur nominale de 1000
francs.
Le groupe de
banquiers qui remportait l’adjudication devait verser immédiatement à Haïti le
montant correspondant à son offre. Il devait ensuite se rembourser en vendant
sur le marché de la Bourse de Paris les 30 000 obligations émises à un
prix supérieur au prix consenti à Haïti pour pouvoir faire un profit.
Les
obligations de 1000 francs rapporteraient aux porteurs des intérêts simples
de 6% par an. À l’époque, le taux légal en France était de 5% ou moins; en
matière commercial, il ne devait pas dépasser 6% [5].
Les
30 000 obligations d'Haïti étaient réparties en 25 séries (de A jusqu’à Z,
excluant W); chaque série était numérotée de 1 à 1200.
[N.B. : 25 x
1200 = 30 000 obligations;
30 000 obligations x 1000 francs = 30 000 000 francs]
Le capital de
30 000 000 de francs était remboursable par Haïti en 25 ans par tranches de 1/25e par année par
un tirage au sort d’une série de 1200 obligations du 1er janvier
1827 au 1er janvier 1851.
L’image
suivante est la copie d’une obligation de l’emprunt d’Haïti en 1825.
Source: Lepelletier de Saint-Rémy [11], p. 121
L’adjudication
de l’emprunt d’Haïti [6, 7,
8] s’est déroulée à Paris le 3 novembre 1825. Deux groupes de banquiers
soumissionnèrent: le premier groupe comprenait MM. Delessert et compagnie et Casimir Perrier; l’autre, MM. André et Cottier, Jacques Lefebvre, Mallet
et frères et Pillet-Will. Un troisième
groupe intéressé comprenait MM. Jacques Laffitte et compagnie, le syndicat des
receveurs généraux, MM. Rothschild
frères, Ardoin Hubbard, Jonas Hagerman, Blanc Colin et compagnie, César de la
Panouze, Paravey et compagnie. Ce
troisième groupe n’a pas voulu soumissionner, car il n’acceptait pas de procéder
par soumission secrète et il préférait des enchères publiques à la criée.
En milieu de
journée du 3 novembre, les deux premiers groupes de banquiers sans se concerter proposèrent
760 francs par obligation d'Haïti de valeur nominale 1000 francs. Mais le minimum secret fixé par les commissaires haïtiens étant de
900 francs, l’adjudication fut donc annulée.
C’est à ce
moment qu’intervint le troisième groupe, celui de Jacques Laffitte qui accepta
de négocier avec les commissaires haïtiens à condition de ne pas avoir de
concurrents. Il proposa 770 francs. Les
commissaires haïtiens abaissèrent alors leur minimum à 850 francs. Laffitte proposa alors 780 francs sous la
condition que son groupe pût organiser l’emprunt comme il l’entendait. Frémont
et Rouanez, après avoir consulté Daumec qui était alité, acceptèrent les
conditions de Laffitte et déclarèrent que leur minimum final était de 800
francs. Laffitte proposa alors 790 francs.
C’était au lieu de l’après-midi. La négociation fut suspendue.
L’agent de
change, Maurenq, chargé de certifier l’opération pour la Bourse de Paris tenta de rapprocher les parties. De sa propre
initiative, il se rendit chez Laffitte pour lui demander de poursuivre la
négociation; puis il contacta Rouanez qui accepta de continuer la
discussion. Laffitte et son groupe
proposèrent alors 790,50 francs, mais les commissaires haïtiens maintinrent
leur minimum à 800 francs. Maurenq suggéra alors fortement à Rothschild
d’accepter 800 francs. Ce dernier n’accepta pas tout de suite; il alla discuter
avec Laffitte et leurs discussions se prolongea jusqu’à minuit et, à ce
moment-là, le groupe Laffitte accepta d’acheter l’emprunt d’Haïti à 800 francs.
Maurenq se rendit alors chez Frémont et Rouanez pour leur communiquer la bonne
nouvelle [6, 7].
Quelques
jours après, les obligations d’Haïti de 1000 francs furent cotées à la Bourse
de Paris à 840 francs [8].
Voici ce que fut la cote des obligations de l’emprunt d’Haïti à quelques
dates entre 1826 et 1848 à la Bourse de
Paris [7, 11] :
a) 27 septembre 1826 : 660 francs
b) 14 septembre 1827 : 700
c) 19 septembre 1828 : 640
d) 13 mai 1829 : 450
e) 15 octobre 1829 : 345
f) 2 juin 1830 : 530
g) 7 janvier 1831 : 320
h) 21 décembre 1832 : 220
i)
24
juin 1833 : 260
j)
mars
1845 : 425
k) 1846 : 360
l)
3 août 1848 : 195
Pour avancer
à Haïti les 24 millions de francs, soit les 80% des 30 millions de francs en
obligations qu’Haïti allait devoir rembourser en 25 ans avec des intérêts de 6%
par année, voici comment le groupe Laffitte s’y était pris. Il emprunta 20 millions
de francs de la Caisse des dépôts et consignations à un taux d’intérêt de 3%;
il ajouta à cette somme 4 millions de francs provenant des fonds propres du
groupe; le tout, soit 24 millions de francs, fut versé à la Caisse des dépôts
et consignations en faveur d’Haïti le 31 décembre 1825 [7].
Étant donné
qu’Haïti n’avait reçu que 24 millions et devrait rembourser 30 millions à 6%,
le taux d’intérêt réel qui s’appliquait sur le montant effectivement reçu était
plutôt de 7,5% (7,5% de 24 millions de francs est une somme équivalente à 6% de
30 millions de francs, soit 1,8 millions de francs d’intérêts qui seraient dus à
la fin de 1826).
Pour pouvoir
verser à la Caisse des dépôts et consignations l’intégralité des 30 millions de francs représentant le 1er
cinquième du montant initial de l’indemnité, Haïti aurait pu négocier la mise
en circulation de 37 500 obligations (au lieu de 30 000) de valeur
nominale 1000 francs que le groupe Laffitte aurait (peut-être) achetées à 800
francs. Une telle opération aurait donc donné un total de 30 millions de francs
(au lieu de 24 millions) à verser à la Caisse des dépôts et consignations. Mais les instructions du Président Boyer aux commissaires limitaient formellement l'emprunt à contracter à un maximum de 30 millions de francs.
À la fin de
1825, Haïti devait 126 000 000 francs en indemnité aux anciens colons
et 30 000 000 de francs aux obligataires de l’emprunt (total
156 000 000 de francs). C’est
ce qu’il a été convenu d’appeler «la double dette».
[N.B. Des 6 millions manquants sur les 30 millions
représentant le 1er cinquième de l’indemnité, Haïti n’avait pu
réunir et verser en 1826 que 5,3 millions de francs provenant d’une somme d’un
million de piastres fortes provenant du Trésor public haïtien transportée en
France par bateau et convertie en francs [9]. Il lui manquait donc la somme de 700 000 francs pour compléter le paiement
du premier cinquième de la dette de 150 millions de francs. Ce ne fut qu’entre
1838 et 1840 qu’Haïti allait finir par compléter le paiement du premier
cinquième de l’indemnité à la Caisse des
dépôts et consignation de France dû depuis la fin de 1825 [9].]
Comment théoriquement aurait dû être
remboursée la double dette ?
En 1826, Haïti devait donc
120 700 000 francs d’indemnité aux anciens colons français et
30 000 000 francs en obligations.
L’indemnité
ne comportait pas de paiement d’intérêts si les versements étaient faits sans
retard.
Si l’on se replace
en 1826, et si Haïti ne contractait aucuns nouveaux emprunts, voici comment le
remboursement de la double dette aurait dû se poursuivre :
a) Le solde de 120 700 000 de
francs de l’indemnité aux anciens colons
- Le solde de 700 000 francs restant du 1er cinquième aurait dû être payé dès la fin 1825.
- Le 2e cinquième, 30 millions de francs, aurait dû être payé le 31 décembre 1826.
- Le 3e cinquième, 30 millions de francs, aurait dû être payé le 31 décembre 1827.
- Le 4e cinquième, 30 millions de francs, aurait dû être payé le 31 décembre 1828.
- Le 5e cinquième, 30 millions de francs, aurait dû être payé le 31 décembre 1829.
b) Les obligations de l’emprunt de
30 000 000 de francs
Haïti aurait
dû verser le 1er janvier de chaque année (de 1827 à 1851) un
vingt-cinquième du capital de 30
millions de francs, soit la somme de 1 200 000 francs, pour l’amortir en 25 ans. Elle aurait dû également payer des intérêts annuels
de 6% sur le solde du capital dû durant cette période de 25 ans.
Ainsi, du 1er
janvier 1827 au 1er janvier 1851, Haïti aurait dû verser un total de
53 400 000 francs au banquier Laffitte (amortissement de
l’emprunt : 30 millions, intérêts cumulés : 23 400 000
francs).
Dans les
faits, l’emprunt sur le marché des obligations ne fut remboursé que sur une
période allant de 1826 à 1893. Quant à l’indemnité aux anciens colons, elle fut réduite de 150 à 90 millions en 1838 et son paiement s'étendit sur une période allant de 1825 à 1878.
Pour un
aperçu de l’histoire du paiement de l’indemnité, le lecteur pourra
consulter l’article publié précédemment sur LCDP-Politique le 19 août 2014 [10].
L’histoire des obligations de l’emprunt
de 30 millions de francs entre 1826 et 1838
À la fin de 1826, il n’était pas possible pour
Haïti de verser à la Caisse des dépôts et consignations le 2e
cinquième de l’indemnité (30 millions de francs).
Le 1er
janvier 1827, Haïti n’avait pas pu verser non plus la première annuité de
3 000 000 de francs de l’emprunt à la banque Laffitte (paiement de 1 200 000
francs d’amortissement et de 1 800 000 francs d’intérêts). Aucun
versement n’a pu être fait par Haïti durant l’année 1827, ni le 1er
janvier 1828, ni durant l’année 1828.
Haïti était dans l’incapacité de payer.
Pour garder
la confiance des obligataires, ces derniers devaient ignorer le fait qu’Haïti ne
pouvait pas momentanément payer. Cependant on ne réussit à maintenir la valeur des obligations d'Haïti qu'entre 600 et 700 francs sur le marché de la Bourse de Paris entre 1826 et 1828.
Ainsi, pour venir à la rescousse d’Haïti dont
les versements à la banque Laffitte se faisaient attendre, le Trésor public français (TPF) versa (ou
cautionna) pour Haïti à la banque Laffitte des sommes totalisant 4 848 905 francs [11] pour payer aux
obligataires de l’emprunt les deux premières annuités et les intérêts de
l’emprunt d’Haïti qui s’élevaient en tout à 5 928 000 francs. On peut
alors inférer qu’Haïti n’aurait versé à la banque Laffitte, en 1827, qu’une somme
de 1 079 905 francs pour compléter la somme avancée par le TPF. La somme
de 4 848 905 francs avancée par le TPF fut remboursée par Haïti au
TPF en 1835. Les circonstances entourant ce versement ou cette caution ont été
débattues à l’occasion du dépôt du rapport de la commission des comptes de la
Chambre des députés de France le 13 février 1833 [12].
En 1827-1828,
2 400 obligations de 1000 francs (séries A et J) ont donc été remboursées
aux obligataires par la banque Laffitte; il en restait donc 27 600 en circulation.
Le Président
Boyer, tenta sans relâche entre 1826 et 1838 d’obtenir de meilleures conditions
tant pour le paiement de l’indemnité aux anciens colons que pour celui des obligations
de l’emprunt.
Dès 1828,
les obligataires avaient su qu’Haïti avait de la difficulté de payer. Et dès
lors, la valeur des obligations de l’emprunt de 1825 s’était mise à dégringoler
sur le marché boursier, passant d’environ 640 francs en 1828 à aussi bas que 220
francs en 1832.
Un certain
nombre de porteurs de ces obligations les ont donc revendues à perte sur le
marché financier. Et, lorsqu’en 1835 Haïti fit passer la loi sur le paiement des
droits d’importation en monnaies
étrangères, des négociants proposèrent au Président Boyer, qui accepta, de
payer une portion de ces droits en obligations de l’emprunt à 500 francs
chacune (au lieu de 1000). On évalue à 9 987 le nombre total d’obligations
que le Président Boyer put ainsi retirer du marché entre 1828 et 1838 (il y en
eut d’autres par la suite pendant un certain temps). Dans l’opinion publique,
il se disait, en France, que la République d’Haïti était de mauvaise foi [11, 13].
Donc, au
début de 1839, il ne restait que 17 613 obligations seulement en
circulation.
Les
documents relatifs à l’indemnité et à l’emprunt permettent d’inférer qu’entre
le Président Boyer et le banquier Laffitte, il s’était vite développé un lien
de confiance mutuelle. Il convient de souligner ici que le banquier Jacques
Laffitte était connu en France pour sa grande honnêteté et sa légendaire
générosité. Il ne fait aucun doute pour moi que Jacques Laffitte a permis au Président Boyer d'identifier les moyens à prendre pour qu'Haïti ne soit pas complètement écrasée sous le poids de la double dette.
Source photo :
Thomas Madiou [3], p. 341
Jacques Laffitte, banquier
L’histoire des obligations de l’emprunt
de 30 millions de francs en 1838 - 1839
Les arrangements pris par Haïti avec
les porteurs d’obligations restant en circulation (environ 17 613 en 1839)
Monsieur
Laffitte, un homme pragmatique et honnête, voulait limiter les dégâts en
proposant une solution où Haïti, les porteurs d’obligations et sa banque
allaient y gagner.
Selon
Beaubrun Ardouin, M. Laffitte écrivit au Président Boyer pour lui dire a) qu’étant lui-même porteur d’obligations de
l’emprunt d’Haïti, il avait la conviction qu’une majorité de prêteurs
accepterait un mode de libération de leurs obligations qui devrait être
avantageux pour Haïti; b) que l’emprunt serait rapidement éteint si le
Président acceptait de remettre un million de francs annuellement à la banque
Laffitte pour payer les intérêts et le capital.
Les
négociateurs français du Traité de 1838 qui eurent vent du projet de Laffitte
et voulant lui nuire (et défendre à tout prix les intérêts de la France au
détriment de ceux d’Haïti) tentèrent d’influencer le Président Boyer et de le
porter à faire déposer de préférence à la Banque de France les sommes destinées
au paiement de l’emprunt.
Les plénipotentiaires haïtiens (Inginac en
tête) firent comprendre aux négociateurs français que les questions concernant
l’emprunt seraient discutées avec la banque Laffitte comme étant une affaire
privée.
Cette
décision par Haïti de s’entendre avec le banquier Laffitte pour négocier avec
les porteurs d’obligations en France se révélera moins lourde financièrement pour
Haïti que si elle déposait les paiements à la Banque de France et confiait au
gouvernement français la répartition de ces fonds aux porteurs d’obligations.
Inginac a eu raison de dire au baron de Las Cases : «La République aimera mieux courir le risque d’une faillite dans une
banque particulière. [13]
»
En combinant
les informations contenues dans Beaubrun Ardouin [13], Lepelletier de Saint-Rémy [11], Thomas Madiou [14], des documents
émanant de la Caisse des dépôts et consignations (publiés dans les Archives
parlementaires, dans les Annales du Sénat, dans le Journal officiel de la
république française, dans le Journal des Débats politiques et littéraires,
etc. ), et des documents officiels émanant des gouvernements successifs
d’Haïti (e.g. Recueil des Lois et Actes, Documents diplomatiques, etc.), il est possible de se
faire une assez bonne idée de ce qu’a pu être l’histoire du paiement des
30 000 obligations mis sur le marché en 1825 et du paiement des intérêts que
cet emprunt a engendrés (et l’histoire du paiement de l’indemnité aux anciens
colons).
Donc, en
1839, il ne restait seulement que 17 613 obligations en circulation.
Après la
conclusion des traités de 1838, un million de francs devait être consacré au
remboursement des obligations de l’emprunt et au paiement des intérêts. Deux
commissaires haïtiens, Faubert et Frémont se sont rendus à la Banque Laffitte
pour prendre les arrangements avec les porteurs d’obligations avec l’appui de
M. Laffitte. Les obligataires furent
convoqués en assemblée générale. La situation réelle des finances d’Haïti leur
fut exposée. Les obligataires ont alors accepté le plan conçu par la banque
Laffitte et présenté par les commissaires haïtien :
·
Abandon
des intérêts au taux de 6% accumulés sur 10 ans du 1er janvier 1829 au
1er janvier 1838 inclusivement sur les 27 600 obligations
censées en circulation, soit 16 560 000 francs.
·
Réduction
du taux d’intérêt de 6% à 3% sur les
17 613 obligations restant dues.
·
Réduction
de 1200 à 600 du nombre d’obligations remboursables annuellement par tirage au
sort.
L’histoire des obligations de l’emprunt
de 30 millions de francs entre 1839 et 1893
Paiement
du solde du solde de l’emprunt à partir du traité financier de 1838.
Les annuités
de cinq premières années (1838-1842) furent réglées comme convenu avec les
porteurs d’obligations. Puis, il y eut la révolution de 1843 qui suivit le
tremblement de terre de 1842. Les
paiements furent suspendus en 1843 peu après la chute de Boyer.
Jacques Laffitte
décéda en 1844 et le président Boyer, exilé à Paris où, dit-on, il vivait dans
des conditions difficiles, mourut en 1850.
Il y eut entre
la France et Haïti, une convention en 1847 [15], sous Soulouque, qui fut renégociée en 1854 [16], Elle concernait la
reprise des paiements de l’indemnité et de l’emprunt.
Le
remboursement de l’emprunt aux obligataires avait été repris en 1856 pour se
terminer en 1885-1886 selon le Président Salomon, en 1887 selon le ministre
Frédéric Marcelin, en 1893 selon le ministère français des Affaires étrangères
en se basant sur le rapport d’une commission d’arbitrage franco-haïtienne.
Dans son
exposé des Relations extérieures à l’Assemblée nationale pour l’année 1885, le
Président Salomon présenta la situation du remboursement de la double dette
d’Haïti [17]:
«Il a
été compté à la France sur notre double dette, Indemnité et Emprunt, les
intérêts de retard compris, une somme de Frs 727,421.36. Elle se décompose
comme suit:
Terme
échu le 31 mars 1883 …………………………………………. Frs 223,059.37
Intérêts
sur ce terme à 5% l'an du 1er avril l883 au
31
décembre 1884, ………………………………………………………….. 19,517.66
Terme
échu le 30 juin 1883 ……………………………………………….. 223,059.37
Intérêts
sur ce terme à 5 % l'an du 1er juillet 1883 au
31 mars
1885 ………………………………………………………………… 19,517.81
Terme
échu le 30 septembre 1885 ………………………………………
223,059.37
Intérêts
sur le terme à 5 % l'an du 1er octobre 1883 au
20 juin
1885 ………………………………………………………………… 19,207.78
_______________
Frs 727,421.36
«Avec
le règlement des deux trimestres échus le 30 septembre et le 31 décembre 1883,
cette double dette sera éteinte.»
«Je
n'oublie pas que ce dernier trimestre est seulement porté pour mémoire dans
l'état de 1870, une liquidation générale et définitive devant être faite pour
en fixer le chiffre exact.»
Le Président
Salomon fait référence à l’indemnité aux anciens colons de Saint-Domingue, mais
il a été montré dans l’article précédent [11] que l’indemnité avait déjà été éteinte dès 1878.
Le 2 juin
1893, le ministre français des Affaires étrangères, M. Develle, écrivit au ministre d’Haïti à Paris, M. Box, une
lettre dans laquelle il dit ce qui suit [18]:
« J'ai
l'honneur de vous faire connaître que, à la suite de l'examen auquel les
comptes de l'Emprunt d'Haïti de 1825 ont été soumis de la part de MM. Hamot,
Inspecteur Général des Finances, et Gluck, Consul Général d'Haïti à Paris, qui
avaient été désignés par les deux Gouvernements pour cette mission, le Gouvernement Français a
décidé de considérer le Gouvernement Haïtien comme désormais libéré envers lui
par les paiements effectués à ce jour pour le service des intérêts et
l'amortissement de l'emprunt dont il s'agit.»
Voici comment
Frédéric Marcelin, ancien ministre des finances du gouvernement du Président
Florvil Hyppolite en 1892-1894, rapporta l’extinction de la l’emprunt de 1825 à
la fin de 1893 [19]:
«Après
bien des difficultés et des lenteurs compromettantes pour le crédit national,
la question de la double dette française vient d'être réglée.»
«Depuis
le 1er juillet 1887, le gouvernement estimait sa créance éteinte : toutes les
valeurs de l'état général de la double dette ayant été intégralement payées,
soit à échéance, soit avec des retards compensés par des intérêts calculés au
taux de 5 %, sauf celle du dernier trimestre de 1883 portée pour mémoire à
228,059 fr. 87, mais dont le chiffre exact devait être fixé à la liquidation
générale - or, à cette même époque il existait encore dans la roue,
conformément au certificat de notre Légation à Paris, onze cent vingt-quatre
numéros non amortis, valeur 1,124,000 fr. à notre débit.»
«Notre
ministre à Paris était assailli journellement par les porteurs réclamant le
paiement de leurs obligations, et qui, par le fait, ne connaissaient que nous.
Il faut aussi ajouter qu'il avait été complètement établi par l'examen des
comptes de la Caisse des Dépôts et Consignations que les 1,288,712 fr. 87 que
M. Charles Noël, notre ancien consul, avait comptés à M. Laforestrie et que
l'on croyait à tort ne pas figurer au crédit du Gouvernement, s'y trouvaient
bel et bien. Pourtant, les experts ayant admis que la Caisse des Dépôts et
Consignations avait fait une mauvaise application des remises du Gouvernement
et que des intérêts excessifs avaient été payés aux porteurs de titres de
l'Indemnité alors que la Caisse eût dû approprier ces fonds à l'amortissement
de la dette, un compromis
fut proposé sur la base que le Gouvernement français renoncerait formellement à
toute demande ultérieure de remboursement, en ce qui concerne la double dette
de 1825, qu'il considérerait comme définitivement réglée et accepterait comme
siens les engagements envers les tiers représentés par les 1,124 obligations -
1825 qui restent encore dans la roue. Ce compromis, fortement appuyé par notre
ministre à Paris, a été accepté par les deux Gouvernements.»
Pour terminer cet article, je présente le tableau
suivant que j'ai bâti pour résumer le déroulement des paiements de l’emprunt de 1825. Il est axé
sur les dates des tirages au sort des obligations retirées de la circulation.
Ces informations permettent d’apprécier indirectement le flux des paiements
d’Haïti et directement le flux des montants rendus disponibles aux obligataires
de l’emprunt de 1825. Les montants versés par Haïti en intérêts sur l’emprunt
et en intérêts pour retards de paiement sur l’emprunt ont été considérables;
ils ne sont pas indiqués dans le tableau. Ils ont été payés intégralement par Haïti.
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Bibliographie
- de Clercq (1880) – ‘’Recueil des traité de la France’’, volume 3, 1816-1830, A.Durandet Pedone-Lauriel (Éditeurs), 600 p. –Voir le texte de l’Ordonnance de Charles X (17 avril 1825), p. 378-379 :[ http://books.google.com.pe/books?id=6WUUAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false ]
- Comité des porteurs de titres de l’emprunt de 1825 (1849) - ‘’Précis historique des faits relatifs à l’Emprunt d’Haïti et desderniers arrangements financiers conclus entre le gouvernement haïtien et le comité des porteurs de titres dudit emprunt’’, Imprimerie de Guiraudet etJouaust, 102 p. - Voir le Tableau général et récapitulatif des pertes éprouvées par les anciens colons entre 1789 et 1803, p. 84-85 : [ http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5797158w ]
- ThomasMadiou – ‘’Histoire d’Haïti’’, tome 6, de 1819 à 1826, réimpression aux Éditions Henry Deschamps (1988), 547 p. – Voir page 474. [ http://books.google.ca/books?id=LW8KAQAAIAAJ&printsec=frontcover&dq=bibliogroup:%22Histoire+d%27Haiti%22&hl=fr&sa=X&ei=bdAaVL27DdOJsQTLiYDoDA&ved=0CFMQ6wEwCA#v=onepage&q&f=false ]
- Louis-Benjamin Francoeur (1845) – ‘’Traité d’arithmétique appliquée à la banque, au commerce, à l’industrie, etc. – Recueil de méthodes propres à résoudre les problèmes et à abréger les calculs numériques’’, Bachelier (Imprimeur-Libraire), Paris,256 p. - Voir l’article no. 259 - Emprunt d’Haïti, page 209 : [ http://books.google.ca/books?id=aW9O4yzr1LkC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false ]
- Jean-François Brière (2008) – ‘’Haïti-France – 1804-1848 - Le rêve brisé’’, Éditions Khartala,360 p.; (seulement quelques extraits sont rendus accessibles dans le document suivant) – Voir page 164 et suivantes : [a) http://books.google.ca/books?id=i0j7-Bxq9NcC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false ] ; [ b) http://books.google.ca/books?id=i0j7-Bxq9NcC&pg=PA165&lpg=PA165&dq=ha%C3%AFti,+rouanez,+laffitte,+maurenq,+emprunt,+1825&source=bl&ots=To0cdTcPOO&sig=wOF8sKDeuK9xK6TqA1CnATA2poQ&hl=fr&sa=X&ei=c38bVJ-kJMShyATM2oG4Aw&ved=0CC0Q6AEwAA#v=onepage&q=ha%C3%AFti%2C%20rouanez%2C%20laffitte%2C%20maurenq%2C%20emprunt%2C%201825&f=false ]
- Jean-François Brière (2006) – ‘’L’emprunt de 1825 dans la dette de l’indépendance haïtienne envers laFrance’’, Journal of Haitian Studies, Vol. 12 No. 2, 2006, p. 126-134 – Voir pages 127-128 : [ http://www.jstor.org/discover/10.2307/41715332?uid=2134&uid=2482514503&uid=3739464&uid=2482514493&uid=2&uid=3737720&uid=70&uid=3&uid=60&purchase-type=both&accessType=none&sid=21104705077763&showMyJstorPss=false&seq=1&showAccess=false ]
- Les porteurs de titres de l’emprunt de 1825 (1831) – ‘’Emprunt d’Haïti - Lettre du 31 octobre 1831 des porteurs d’annuités del’emprunt de 1825 au Ministre de l’intérieur français et Président du conseil '', Imprimerie de Sétier, Paris, 7p. - Voir page 4 : [ http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6ka5804182c/f7.image ]
- François Blancpain (2001) – ‘‘Un siècle de relations financières entre Haïti et la France (1825-1922)’’ – Édition L’Harmattan, 2001, 213 p. – Voir pages 66-67.
- Archives parlementaires, tome 79, 1833 – 13 février 1833 : Intervention de M. Laffitte et du rapporteur de la commission descomptes, M. Passy, concernant l’emprunt de 1825 et l’avance de4 848 904,65 francs, p. 545-562 : [ http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k480123v.r=Archives+parlementaires%2C+recueil+complet+caisse+des+d%C3%A9p%C3%B4ts+et+consignations++1840+indemnit%C3%A9+de+saint+domingue+emprunt+de+1825+ha%C3%AFti.langFR ]
- République d’Haïti - Relations extérieures (1886) –’'Documents diplomatiques – Années 1884, 1885 et 1886’', 3e Partie, 1ère série : Exposé des Relations Extérieures à l’Assemblée nationale par le Président Salomon pour l’année 1885, pages 1-10, plus spécifiquement, page 8. [ http://books.google.ca/books?id=z_MMAAAAYAAJ&printsec=frontcover&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false ]
- Claudius Ganthier (1907) - Recueil des Lois et Actes de la République d’Haïti de 1887 à 1904. Voir page 873 : Lettre de M. Jules Develle, ministre des Affaires étrangères de France à M. A. Box, ministre d’Haïti à Paris, datée du 2 juin 1893 : [ https://ia600307.us.archive.org/19/items/recueildesloiset03hait/recueildesloiset03hait.pdf ]