mercredi 29 juillet 2009

Bras de fer ou dialogue pour un pacte de transition démocratique


Par Micha Gaillard

michagaillard_12@yahoo.com
Source: Forum culturel forumculturel@googlegroups.com


La publication des résultats des élections du tiers du Sénat s’apparente à un coup de force du Président Préval et risque de plonger le pays dans une crise jusqu’ici contrôlée par les différents acteurs politiques clefs.

Faisant fi des appels [i] à la sagesse politique des partis et des personnalités de la société civile, en particulier ceux qui ont accepté de mettre en péril leur crédibilité en s’associant à un processus de stabilité politique pour relancer le développement du pays, le chef de l’Etat en agissant ainsi semble vouloir imposer à la République sa volonté.

J’entends déjà les arguments juridiques, constitutionnels pour expliquer le fait accompli : « Le Président ne fait que publier les résultats transmis par une institution indépendante ». Classique. Du déjà vu. Mais ce qui est en train de se décider est du domaine purement politique : l’utilisation d’une position de pouvoir pour atteindre ses propres objectifs.

Le coup à son histoire. En habile manœuvrier, le Président de la République a commencé par inviter les dirigeants des partis politiques et des membres éminents de la société civile à s’associer dans un projet de production d’une vision commune de notre Haïti pour les 25 prochaines années. Certains acceptent même de participer dans le gouvernement tout en n’étant pas associés aux grandes orientations politiques du pouvoir. Ils en souffrent… au nom de la sacro sainte stabilité.

Parallèlement, le Président dissout un des meilleurs Conseil Electoral que le pays a connu, sous le fallacieux prétexte de mésentente (!) entre ses membres. Alors que le spectacle de révélations et de zizanie offert aujourd’hui par les membres de l’actuel CEP, qui ont réalisé l’une des pires élections depuis 1987, n’a pas fait sourciller notre Président qui a apposé sa signature sur le document publié dans Le Moniteur. Le tout avec la bénédiction de la Communauté internationale, en particulier de la MINUSTAH !

En s’impliquant personnellement dans le choix des candidats, en particulier ceux de la plateforme électorale qui l’a porté au pouvoir, le Président de la République est arrivé à se doter d’une majorité au Senat afin, selon moi, de façonner dans le sens de ses propres intérêts le paysage politique de la prochaine décennie.

Il se donne ainsi les moyens et les outils nécessaires pour, d’abord, amender la Constitution selon ses vues (pour peut-être un troisième mandat ; pour peut-être changer le régime politique actuel, en supprimant la Primature et le Sénat lui-même !). A travers ces « résultats électoraux », il s’offre également la possibilité de choisir les hauts fonctionnaires de l’Etat dont la nomination nécessite dialogue et compromis avec le Sénat (je pense particulièrement aux Délégués départementaux, aux Ambassadeurs, aux membres de la Cour de Cassation). Et enfin il risque de prolonger le mandat de l’actuel CEP pour « bon services rendues à la Nation » afin de réaliser les prochaines « élections » du mois de novembre.

Dans notre réalité de l’hyper présidentialisme, avec un Sénat à sa solde et une majorité à la Chambre des députés (le prochain vote sur l’augmentation du salaire minimum dans le sens voulu par le chef de l’Etat risque de confirmer mes dires), le Président Préval aura les coudées franches pour imposer sa volonté… et essayer d’éliminer sur l’échiquier l’actuelle classe politique, en commençant par la FUSION et l’OPL qui ont organisé au niveau du parlement et ailleurs la résistance aux dérives de ces dernières années (je pense entre autre à la tentative d’installation du gouvernement de Madame Michelle Pierre-Louis, l’été dernier, sans l’aval du Parlement).

Le Président est à un carrefour.

De deux choses l’une : soit il revient à la raison et trouve une formule pour répondre aux demandes des partis politiques qui ont eux aussi des intérêts (au même titre que le Président et ses amis politiques). Les responsables politiques n’accepteront pas que des mascarades électorales les excluent de la scène politique institutionnelle pour les prochaines années. Soit le Président reste sur sa position et ainsi il prendra sous sa responsabilité d’ouvrir les hostilités qui seront néfastes pour la stabilité du pays et donc pour le bien être des uns et des autres en particulier des plus défavorisés.

Le dialogue pour assurer une transition politique jusqu’à la fin du mandat du Président est la solution de sagesse. Le pays ne peut s’offrir une bataille entre d’un coté le Président et ses alliés de Lespwa et d’un autre la classe politique y compris Lavalas, exclu des élections sur recommandation, jusqu’aux partis de centre droit en passant par le centre gauche traditionnellement désigné sous le vocable de « secteur démocratique ».

Ce coup de force du Président pose encore plus que jamais la question de la construction d’une alternative politique majoritaire et cohérente capable de porter ensemble, dans la durée, un projet offensif et crédible de démocratie, de développement durable et de transformation sociale. Mais c’est une autre affaire. On y reviendra au moment opportun. L’heure aujourd’hui est à la résistance. Et ça nous Haïtiens, nous savons le faire !

Micha Gaillard
28 juillet 2009


[i]
Voir en particulier les déclarations de la Fusion des Sociaux-Démocrates et de l’Organisation du Peuple en Lutte

dimanche 19 juillet 2009

LE JOUR SE LÈVE ENFIN, il faut tenter de vivre

Par Gérard Bissainthe
Source: Haïti-nation, 19 juillet 2009

Excellente cette intervention ci-dessous de Larose Vernet.

Je suis en mesure d'y ajouter quelques précisions pour avoir été en 1989 (vingt ans de perdu) le concepteur et l'implémenteur du premier organisme dont le but était d'organiser la Diaspora Haïtienne, à savoir le Commissariat Général des Haïtiens d'Outre-Mer.

En fait, Haïti bénéficie de trois sortes d'aides venant de l'étranger

1.- L'aide dite bilatérale
C’est l’aide d'État (ou d'organismes comme l'ONU et l'OEA) à État. C'est l'aide officielle. Par exemple, un État ou de ces organismes octroie une subvention de 20 (vingt) millions de dollars à l'État haïtien. D'âpres les études de l'ONU seulement 15 % (quinze pour cent) de cette aide arrive vraiment a l'État haïtien, le reste va à tout le réseau complexe d'implémentation de l'aide: une très grande part va aux salaires du personnel de cet État ou de cet organismes et ces salaires sont très élevés: par exemple en 1994 un professeur étranger affecté à l'INAGHEI touchait, d’aprés les renseignements que j’avais, 12.000 (douze mille dollars US par mois), à côté de professeurs haïtiens qui, eux, gagnaient parfois l'équivalent de 300 (trois cents) dollars US. On le voit, l'aide bilatérale est d'abord une aubaine en amont (le pays ou l'organisme donateur qui se réserve 85% de ce budget pour ses frais), alors qu'en aval le pays bénéficiaire ne reçoit que la portion congrue de 15%. Dans la Minustah je présume que le même schéma se retrouve, sinon j'invite les officiels de la Minustah à éclairer notre lanterne: autrement dit 85% que s'octroient les pays qui nous veulent du bien et 15% pour Haiti même. J’aimerais aussi que les services de la Minustah communiquent au public haïtien, qui y a droit ce que coutent EFFECTIVEMENT, tous frais compris (sans en cacher aucun), un soldat de la Minustah.

Il est à noter ici que c'est nous qui sommes les naïfs, car l'Étranger joue en général franc jeu. En effet, en 1986 lorsaue je parlais de la coopération française au Chef de la Mission Française en Haïti, Bernard Hadjadj c’est lui qui corrigea mes illusions. Il eut spontanément l’honnêteté de me dire: "Fais attention, Gérard, l'Assistance n'est jamais désintéressée." Et exactement la même phrase m'a été répétée plus tard par l'Ambassadeur de France Jean Dufour, sauf que lui et moi, nous nous vouvoyions. A mon avis il faudrait presque interdire cette aide bilatérale, car elle est plutôt un moyen facile pour un État étranger de se créer dans le pays bénéficiaire une sorte de "Cinquième Colonne" ou un "Cheval de Troie".

2.- L'aide multilatérale
Il y a aussi l'aide multilatérale qui provient des organisations étrangères non-gouvernementales: religieuses, philanthropiques, éducatives, culturelles, et autres. J'ignore quelle proportion de cette assistance reste en amont dans les sommes qu'en général ces organisations collectent dans leur propres pays et qui est souvent déductibles d'impôts et quelle proportion va en aval au pays bénéficiaire. Les seules organisations que j'ai pu examiner de prés sont des organisations catholiques (pas toutes): comme les salaires qu'elles offrent à leur personnel, recrutés "en métropole" comme elles disent, sont raisonnables, la proportion de l'assistance qui va vraiment au pays bénéficiaire doit être de beaucoup plus élevée. Cette aide multilatérale est la seule qui devrait être autorisée, mais il faudrait bien la contrôler. En 1986, lorsque j'étais aux Affaires Étrangères, j'avais pu me rendre compte que certaines organisations non-gouvernementales étaient presque des États dans l'État. En cette même année devant un parterre de journalistes et de fonctionnaires français à Paris j’avais recommandé la cessation de cette aide bilatérale que je disais plus nuisible qu’utile.

3.- L’aide de la Diaspora
La troisième aide est celle directe venant des Haïtiens vivant à l'étranger. De cette aide quasiment tous les 100% arrivent dans le pays. Ce qui veut dire que si un État étranger nous donne 20 (vingt) millions de dollars, en réalité nous en touchons effectivement les 15%, soit donc 3 (trois) millions de dollars. Donc les 100 millions de dollars que la Diaspora envoie chaque mois en Haiti et qui arrivent a 100% dans le pays contiennent 33 fois (et sur une année 396 fois) la valeur qui arrive effectivement en Haiti provenant de ces vingt millions de dollars d'aide étrangère. On voit donc que ces vingt millions de dollars d'aide étrangère ne sont que des "peanuts" comparés à l'aide de la Diaspora. Si l'aide de la Diaspora est systématiquement organisée et elle ne l'est pas, nous n'aurons absolument pas besoin d'aide étrangère, surtout qu'en général cette aide étrangère est condescendante et crée une dépendance économique et surtout politique par rapport au pays donateur. Lorsque Bill Clinton arrive triomphalement en Haiti, c'est parce qu'il sait que c'est lui qui "somehow somewhere" tient les cordons de la bourse. Et si Préval lui sert de chauffeur c'est que “somehow somewhere" Préval est son salarié. “Somehow somewhere" c'est Bill Clinton qui lui paie ses appointements.

On comprend pourquoi depuis au moins 1989 je n'arrête pas de dire que notre solution est dans la Diaspora, dont la puissance économique doit être organisée systématiquement.

Quel est l’obstacle? Qu’est-ce qui empêche la Diaspora d’être un des principaux aqueducs qui apporte régulièrement à Haïti l’eau précieuse, inestimable, irremplaçable de ses ressources financières, professionnelles, culturelles? Voilà la grande question qui attend une réponse appropriée. Bill Clinton avec tout ce qu’il a, avec tout ce qu’il peut, ne fera jamais le poids devant la Diaspora haïtienne, même s’il nous donnait de la main à la main le milliard de dollars que la Diaspora apporte chaque année au pays interieur, ou même les dix milliards qu’une Diaspora organisée pourrait apporter au pays intérieur. A moins qu’il ne devienne lui-même haïtien, en suivant le parcours du combattant qui est necessaire pour devenir haïtien. A ce moment-là il sera le bienvenu.

Quel est l’obstacle? L’obstacle c’est que la Diaspora organisée est la bête noire du “complexe plouto-xénocratique", dont Bill Clinton est partie prenante, qui tient actuellement le pays en main, qui organise nos élections-bidon et qui maintient dans le pays la Minustah, chienne de garde des intérêts de ce "complexe plouto-xénocratique".

Libérer Haiti, prise dans cet étau, ne va pas être facile.

Mais c’est le challenge d’aujourd’hui. Les fossiles ou les Dégénérés attendent encore et toujours le salut du Grand Blanc. Et Soeur Anne ne voit toujours rien venir. Les vrais Haïtiens parlent depuis longtemps de “dialogue d’égal à égal” avec nos partenaires etrangers, parce qu’ils savent que le salut est là et nulle part ailleurs, à savoir dans la fin de la tutelle. Ils sont trop heureux d’entendre enfin le nouveau Prèsident américain, rompant avec les erreurs du passé, tenir le même langage.

Le jour se lève enfin. Il faut tenter de vivre!

Gérard Bissainthe
19 juillet 2009

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At 23:16 17/07/2009 +0000, Larose Vernet wrote:

La qualité de l'État haïtien aurait dû depuis fort longtemps déjà faire l'objet d'études d'une masse critique de chercheurs, tant sous les angles de sa manifestation nationale que de l'expression de sa puissance interétatique. Ils ont, en effet, à expliquer à leurs pairs et au grand public, pourquoi les insurrections ont quasiment toujours effacé les mots des constitutions, même si ces mots n'ont jamais fait sens ni les constitutions d'effectivité-celle-ci est distincte de l'applicabilité-?

Quant à son indépendance, des "dettes de l'indépendance" en passant par la "diplomatie des canonnières" et ensuite prendre une pause chez la génération du choc de l'occupation et cheminer tranquillement en ayant pour guide le nouveau missionnaire, qui vous apprend à pêcher du poisson d'avril : les experts en aide publique au développement(APD) et finalement de se réveiller brutalement par le bruit des engins du Conseil de sécurité.

Occulter cette réalité constitue un obstacle à l'action volontaire en vue d'offrir une alternative culturelle, au sens de Gramsci.

Or, la diaspora aurait pu le faire, si elle s'y était organisée en œuvres de charité d'État, qui elles, sont consubstantielles à l'action civique, au principe et à l'esprit de solidarité. De l'action des Quakers en vue d'abolir l'esclavagisme aux États-Unis à celle d'Oxfam, Amnistie internationale, etc., nous ne trouvons pas de correspondance avec les bailleurs de fonds au "noir", "clandestins" : les transferts d'argent de la diaspora haïtienne à leurs parents cellulaires ou élargis.

Il existe deux types de flux. Celui du pays d'origine vers le pays électif, vous partez pour aller travailler et non donner de l'aide; c'est le marché qui régule votre départ; et vous envoyez ensuite de l'argent à vos proches : c'est une décision personnelle, une affaire privée, qui s'inscrit également dans le cadre du marché.

L'autre flux, c'est celui de la charité d'État interétatique. Les médecins sans frontières, du monde et autres dénominations, bref les ONG, jouissent des privilèges, ils ne sont pas soumis aux lois d'immigration ni autres ordres professionnels comme les migrants ordinaires.

Cependant des études récentes nous informent : plus d'un milliard de dollars ont été reçus par plus d'un million de personnes; c'est une "aide" directe, palpable de la diaspora, sans inclure les retombées, les externalités, les effets multiplicateurs sur la socio-économique haïtienne.

Alors, pourquoi les 350 millions de l'APD et l'intervention de Bill Clinton pour les acheminer sur 2 ans, si je ne m'abuse, et d'en récolter davantage, relèvent de la noblesse d'État?

Je n'y vais pas plus loin : la diaspora a un défi à relever; c'est en filigrane dans la correspondance entre Bissainthe et Lucas. Mais si on abordait les vraies questions? Et, si on s'y mettait pour les transformer en œuvres de charité d'État?

jeudi 9 juillet 2009

Bill Clinton says surprised by discord in Haiti

By Joseph Guyler Delva
Wed Jul 8, 2009 7:53pm EDT

PORT-AU-PRINCE (Reuters) - Former U.S. President Bill Clinton said on Wednesday a lack of cooperation between Haitian politicians, aid groups and business leaders was hurting efforts to help the impoverished Caribbean nation.

Clinton, on his first visit since being named U.N. special envoy to Haiti, said he was optimistic about its future but surprised by the continuing divide between the private and public sectors and the nongovernmental organizations (NGOs) operating in Haiti.

"The most surprising thing to me ... is how little the investor community, all the elements of the government, including the legislative branch and the NGO community seem to have taught and absorbed each others' lessons," Clinton told reporters at the end of a two-day fact-finding mission.

The poorest country in the Americas, Haiti has struggled to establish democratic institutions and a stable investment climate following decades of dictatorship and military rule. Most of its 9 million people live on less than $2 a day.

But the appointment of Clinton by U.N. Secretary General Ban Ki-moon in May, hundreds of millions of dollars in recent donor pledges and the granting of $1.2 billion in debt relief by the World Bank, IMF and other creditors this month has raised hopes in Haiti.

The Paris Club of sovereign creditors said on Wednesday it had decided to cancel $62.73 million of Haiti's debt and committed to canceling an additional $152 million.

Clinton met on Wednesday with business leaders, heads of the executive and legislative branches of the government and NGOs and civil society groups, after a tour on Tuesday of the mud-stained city of Gonaives, where floods last year killed hundreds of people.

He promised to do all he can to collect the money Haiti needs to address some of its crucial infrastructure, education and healthcare problems but urged Haitians to solve their internal differences.

"If it is a question of money that's my problem, but if it is not about money, that's something Haitians need to resolve among themselves," he said. "That's a little surprising to me. But everybody is eager to do it."
(Editing by Jim Loney and Eric Walsh)
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The original article is published here.

mercredi 8 juillet 2009

Q&A: "The Elites Are Like a Huge Elephant Sitting on Haiti"

Michael Deibert interviews Haitian Prime Minister MICHÈLE PIERRE-LOUIS


PORT-AU-PRINCE, Jul 3 (IPS) - Haitian Prime Minister Michèle Pierre-Louis assumed office in September 2008. Born in the southern city of Jérémie in 1947, she left Haiti with her family in 1964 following a pogrom by dictator François Duvalier against his perceived enemies in her town.

Studying in the United States and France before returning to Haiti in 1977, she has been a close confidante of Haitian President René Préval for over 40 years. After having worked in a variety of private and public sector jobs in Haiti, she and Préval opened a bakery which catered to the poor in Haiti’s capital in 1982.

Active in the first government of Haitian President Jean-Bertrand Aristide, Pierre-Louis was among the first to denounce the 1991 military coup against Aristide during an interview with Radio France Internationale.

After Aristide’s return by a U.S.-led multinational force in 1994, Pierre-Louis opened the Fondasyon Konesans Ak Libète (Knowledge and Freedom Foundation or FOKAL) in 1995 with support from businessman and philanthropist George Soros’ Open Society Institute. An organisation conceived to support sectors in Haitian society most likely to bring about social change, FOKAL has been responsible for the creation of a network of over 50 community libraries throughout Haiti, a cultural centre and library for economically disadvantaged children and youths in Haiti’s capital, a debate programme for young people, and an initiative to supply running water to the nearly 80 percent of Haitians who don’t have regular access to it.

Since her installation as Prime Minister, Pierre-Louis has presided over a stabilising of the security situation in this often politically unstable country, weathered the fallout and relief efforts after a trio of hurricanes killed at least 600 people last year and traveled both within Haiti and internationally to plead her government’s case.


IPS contributor Michael Deibert sat down with Prime Minster Pierre-Louis in Port-au-Prince on Jun. 21 to hear her thoughts about where the country is heading.


IPS: Could you speak a little bit about your background?

MPL: I was born in Jérémie, and my parents were people extremely dedicated to the country. My father and my mother were raised during the U.S. occupation, and that whole generation was very nationalistic, it was very important to be proud of your country, to love your country, to know your country. My involvement started very early because I was involved in youth groups against Duvalier, which at the time was very dangerous. There were lots of groups that were fighting clandestinely against the dictatorship, and I lost a lot of friends who disappeared. One day you would hear that [the government] got them and put them in jail and you would never hear from them again. So I was marked by this situation, and even when I went to study abroad, Haiti was always in my mind.


IPS: How did you find your involvement in the first Aristide government?

MPL: It was very exhilarating, at the beginning. Everybody in the world was saying finally Haiti is going to come out, finally democracy is going to be built...When the 1991 coup occurred, I was probably the first person to give an interview and say, no matter what, the coup was unjustified. Aristide was our president and he was elected democratically and we’re going to fight for him to stay in power. Those were very long years, and something happened to the country and to the president. When he came back, I think things got really rough, we really started going down the drain. Somehow, something very deep happened in the mind of this country, and we have not really put our finger specifically on it.


IPS: What did you feel was different after the return of Aristide in 1994?

MPL: The man himself had changed. He was married, he was into money, he was into corruption. He invented the Petits Projets de la Presidence. [a corruption-riddled system of presidential largesse]. I don’t think he had escaped from the Haitian president’s syndrome, which is stay in power by all means. There are many Haitian presidents who have fallen into that trap. Once that is your perspective and that is your project, all means are used...I don’t think we know our history very well, and we fall into the same trap over and over again. It’s unfortunate that we keep making the same mistakes.


IPS: What political lessons should Haiti and the international community draw from the collapse of the second Aristide government in 2004 and the international intervention that followed?

MPL: For a long time, a lot of the elite would say that Haiti was not ready for democracy, and I was totally against that. It’s not because people are poor and they are illiterate that they are not ready for democracy. When you go to the people at the bottom, I have a deep feeling that these people really want things to change, and they are waiting for the leadership that will not bring miracles but will show them the way and not lie to them. All the elites - the mulatto elites, the university elites, the union elites, the peasant elites - are like a huge elephant sitting on this country and you cannot move it, because there is no political class, because there are no political parties, and everyone becomes corrupted and perverted. If you can’t go into that system, the system rejects you. And so far we have not found the wrench that will move this thing.


IPS: Do you think the presence of the United Nations mission is important, and how are relations between your government and the mission?

MPL: From 1991 to 2008, there have been seven U.N. missions here, and they have all been asked for by the Haitian government. That means there is a problem. When people say it’s a matter of sovereignty, I say that Haiti is a sovereign country and nobody change that. But in two areas, we have lost the exercise of our sovereignty: Control of the territory and food security. We are dependent on outside forces, outside markets, for both. If we really want to do something, let’s work to recover the full capacity of our sovereignty now. That would mean really building a national public security force, and making sure we could massively invest in agriculture, which would be justice to the Haitian peasant. When Aristide left and the interim government came in, the police were corrupt, politicized and inefficient. It takes a while before you can reverse that trend, but I think if there is one area today where we can feel the progress, it’s the police. As Prime Minister you are also are chief of the Conseil Superieur de la Police Nationale d'Haiti, and I take that very seriously, because security is a major issue. We lack training, munitions and arms, but I think we have done a great job. It’s embarrassing to have foreign forces in your country, I am not happy about that. But if we don’t make the effort to regain our capacity to control our territory, they will stay forever.


IPS: What are your thoughts on the recent mid-term elections in Haiti?

MPL: In 2006, the population responded with dignity and order, and were proud to be part of [the elections]. And I have told those in parliament: "You are young. You want to have a career? Remember that in the past elections 95 percent of you were not returned to office. You think the people are not watching, that they are not judging? They are watching. They are not stupid." There are hands that didn’t want these elections to take place, because it changes the configuration of the senate, which is now very powerful. Chaos is good for a few sectors, and the most destabilising factor here today is drug trafficking, whether by plane or by ship. And it’s polluting politics The recovery of Haiti - justice system, health, education - should be planned over 10, 15, 20 years. We now have a good relationship within the region, with Argentina, Brazil and Chile, and it’s a new paradigm for regional cooperation. They have their own interests, of course, but let’s make the best of the opportunities that are offered to us.



Michael Deibert is a Senior Fellow at New York’s World Policy Institute and the author of "Notes from the Last Testament: The Struggle for Haiti" (Seven Stories Press).

(END/2009)

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The original article is here.
The interview has been also posted there.
The Michael Deibert's blog is there.

mardi 7 juillet 2009

Haïti : Le silence officiel sur les bilans des entreprises de sous-traitance

Par Leslie Péan
Sources: AlterPresse et Professeur Adrien Bance, 6 juillet 2009


L’obscurité voulue et maintenue par les entrepreneurs de la sous-traitance sur les états financiers du secteur mine la confiance entre les patrons et le reste de la société. Dans une société dynamique, les marges bénéficiaires dans n’importe quel secteur économique sont connues et il n’y a aucun mal à les afficher. L’opacité sur le chiffre d’affaires du secteur de la sous-traitance et sa dynamique dans le temps masque des informations aux agents et aux citoyens qui ne leur permettent pas de se situer dans les débats en cours sur le salaire minimum de 200 gourdes dans l’industrie d’assemblage. Les principes de justice qui doivent gouverner la structure de base de la société sont l’objet de malentendus et de contre-sens justement à cause des omissions graves et des erreurs contenues dans les connaissances disponibles.
Ces zones d’ombre ne permettent pas de déterminer la valeur ajoutée réelle dans le chiffre d’affaires du secteur de la sous-traitance et contribuent à alimenter la tendance de prendre les faits au tragique. La valeur des tissus, des boutons et autres matières premières n’est pas comptabilisée séparément dans les statistiques du US Department of Commerce, cependant nous savons qu’il faut 50% de valeur ajoutée pour que le produit puisse être exporté aux Etats-Unis. Par exemple, si nous prenons le chiffre de l’an dernier de 412 millions, il faut inclure 50% de valeur ajoutée, soit 206 millions. L’État contribue aussi à cette opacité en ne donnant pas les informations qu’il détient ou devrait détenir sur le secteur d’assemblage. Le silence officiel de l’Etat sur les bilans des entreprises de sous-traitance sied aux gens qui aiment les eaux troubles, le blackout et le fè nwa. Le gouvernement réagit comme si lui aussi n’est pas au courant ou ne veut pas être au courant des bilans des entreprises. Quand la lutte contre la corruption est criée sur tous les tons, le silence officiel sur les bilans du secteur d’assemblage ne peut qu’irriter et indiquer comment il n’y aucune prise sérieuse et effective des responsabilités en la matière. En ouvrant la boite de Pandore, il y a le risque de faire tomber un pan de l’édifice social. Ce serait le prix à payer selon certains. Mais le risque est trop grand selon d’autres de faire tomber tous les autres pans. Le concert social qu’on aurait dû avoir aboutit à la cacophonie parce que le chef d’orchestre est absent. L’Etat comme chef d’orchestre encourage l’ignorance et n’est pas en mesure de répondre à la demande de connaissance du reste de la société. Une demande de connaissance qui s’accompagne d’une demande de sécurité, de confort, de calme, mais surtout de justice.

En effet, la question fondamentale dans le débat de sourds autour du salaire minimum de 200 gourdes dans l’industrie d’assemblage est la justice. Rien d’autre. Il y a une demande de justice qui augmente avec le temps. Une demande de justice pour aujourd’hui mais aussi pour hier. Dans ses tentatives pour permettre à son peuple d’avoir un des plus hauts niveaux de vie de la planète, le gouvernement américain a vite compris que la justice était centrale. Après des centenaires de racisme, d’esclavagisme et d’exploitation des minorités, le gouvernement américain s’est inspiré des travaux de John Rawls, professeur de philosophie à l’université Harvard, pour jeter les bases de la repentance et de la réparation pour les maux infligés aux minorités. L’article de John Rawls La Justice comme équité publié en 1958 a secoué les torpeurs. Dans les deux principes qui sont les fondements de sa théorie de la justice, formulés dans son ouvrage séminal Théorie de la Justice publié en 1971, John Rawls a dégagé l’essence de la politique pour combattre les inégalités sociales (1). Dans son entendement, les inégalités sociales et économiques doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés de la société. Cela conduira à la politique de l’affirmative action ou encore de la discrimination positive décidée par le président Lyndon Johnson en 1965. Le gouvernement américain a mis en œuvre ces recommandations dont l’un des résultats, quarante ans plus tard, sera la victoire de Barack Obama aux élections présidentielles de novembre 2008. Tels sont les changements que peut amener une politique de justice dans la recherche des bases matérielles du bonheur. Ce n’est pas un économiste qui a fait la contribution décisive dans la lutte contre les inégalités mais bien un philosophe. Nombre d’autres pays prendront la route de la discrimination positive dont le Brésil, le Canada, la France, le Japon, l’Afrique du Sud, etc. pour lutter contre les inégalités criantes.

Les obstacles à la compétitivité internationale
Les Haïtiens peuvent-ils avoir l’intelligence nécessaire en l’an 2009 pour appliquer les politiques dictées par les théories de John Rawls ? Pourront-ils utiliser la richesse analytique de ses travaux pour ne pas sacrifier l’équité au profit de l’efficacité ? Sauront-ils faire face à l’offensive internationale tripartite des bailleurs de fonds internationaux (FMI, Banque Mondiale, BID), soutenue par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) prônant le libre-échange tous azimuts, et les multinationales qui sont le fer de lance de la globalisation sauvage ? Subissant les pressions des milieux d’affaires de la sous-traitance, le gouvernement haïtien peut-il avoir une politique qui soit dans l’intérêt des travailleurs ? Comment éviter que les pratiques des ateliers de misère (sweatshops) ne soient généralisées dans l’industrie de la sous-traitance, particulièrement au niveau des salaires ? Telles sont les vraies questions auxquelles est confronté le peuple haïtien dans la lutte pour le salaire minimum de 200 gourdes dans l’industrie d’assemblage.

Cette crise du salaire minimum indique en clair comment l’industrie d’assemblage ne saurait être le levier essentiel de l’économie haïtienne. Mais aussi elle nous oblige à regarder en face les obstacles à la compétitivité de l’économie haïtienne en général. Contrairement à la propagande qui met l’accent sur le bas niveau des salaires comme atout pour la compétitivité, l’analyse scientifique révèle que l’Etat et la culture de corruption généralisée sont les vrais obstacles à la compétitivité locale. Au lieu de résoudre ces désordres constituant les fondements des comportements ambivalents qui bloquent l’évolution de la société haïtienne vers le haut, les dirigeants politiques et économiques préfèrent se voiler la face et faire porter le fardeau de leur inefficacité par les travailleurs en maintenant leurs salaires à des niveaux de misère.

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Le tableau 1 donne la place d’Haïti dans le classement international de 181 pays en ce qui concerne onze indicateurs permettant de jauger la facilité de faire des affaires commerciales, industrielles et financières. Le constat est pitoyable. Sur dix indicateurs, sept sont négatifs. Haïti ne fait que régresser depuis 2006. La dégénérescence se dégrade et se renouvelle. De 2008 à 2009, Haïti perd sept places dans le classement et passe de la 147ème position à la 154ème position. La raison essentielle de cette dégringolade vient des comportements grotesques de nos élites économiques et politiques. Des comportements stupides et équivoques qui n’ont que des effets désastreux depuis deux siècles.

Par exemple, il faut 195 jours pour créer une entreprise en Haïti alors que dans les autres pays de la région, il faut seulement 64 jours. Les coûts pour démarrer une entreprise en Haïti sont de 159% le revenu par habitant alors qu’il n’est que de 39% dans la région. Le capital minimum qui doit être versé à l’occasion est de 26 fois le revenu par habitant alors qu’il n’est que de 3 fois le revenu par habitant pour les autres pays de la région. L’ordre cannibale qui règne en Haïti depuis deux siècles se veut permanent, à vie. Les dirigeants de cet ordre qui en sont les bénéficiaires ne veulent pas de changement véritable. Ils imposent leurs vues aux autres en s’assurant qu’ils contrôlent toutes les avenues pouvant aboutir à un quelconque mieux-être. Partout leur influence est déterminante. Par exemple, le blocage est manifeste au niveau des procédures, durées et coûts nécessaires pour la construction d’un entrepôt, incluant l’obtention des licences et permis nécessaires, l’accomplissement des notifications et inspections requises et l’obtention des raccordements (eau, téléphone, et électricité). En Haïti, il faut 1179 jours pour avoir ces raccordements alors que dans les autres pays de la Caraïbe, il ne suffit que de 229 jours pour les avoir.


C’est essentiellement au niveau de l’embauche et du licenciement des travailleurs qu’Haïti a les meilleures performances. En effet, l’indice de difficulté d’embauche n’est que de 22 en Haïti tandis qu’il est de 34.7 dans la région. Egalement l’indice de rigidité des horaires est de 40 en Haïti alors qu’il est de 33.1 dans la région. Ensuite l’indice de licenciement est nul en Haïti alors qu’il est de 25.7 dans la région. Enfin, le coût de licenciement en terme de salaire hebdomadaire est de 17 en Haïti alors qu’il est de 53.9 dans la région. Le système social en vigueur fait que pour les bonnes choses nous sommes les derniers et pour les mauvaises nous sommes les premiers. A l’exception de l’année 2003 où le salaire minimum réel a connu une hausse de 46%, au cours de la décennie 2000, le salaire réel des travailleurs a diminué chaque année de plus de 10% à cause de l’inflation (3). Le gouvernement a peu fait pour améliorer le sort des travailleurs. On se rappelle comment les émeutes de la faim d’Avril 2008 furent les conséquences de l’augmentation des prix des produits de première nécessité dont le riz (42%), l’huile de cuisine (55%), le pain (51%), le gasoil (31%), le kérosène (38%) et le lait (45%).


Pour ce qui nous intéresse particulièrement ici, c’est-à-dire le commerce extérieur, Haïti est encore en mauvaise posture par rapport à ses concurrents de la Caraïbe. Les coûts sont plus élevés et les procédures nécessaires pour l’import et l’export d’un chargement standard sont plus longues. Par exemple, il faut huit documents en Haïti avant de pouvoir procéder à une exportation alors qu’il en faut six dans les autres pays de la région. La réception d’un conteneur coûte 1560 dollars en Haïti tandis qu’il coûte 1380 dollars dans la région. Le nombre de jours nécessaires pour importer une marchandise est de 37 en Haïti alors qu’il n’est que de 22 dans la région. Lors de la publication du rapport Doing Business 2006, le président Préval qui venait de prendre le pouvoir n’a pas caché sa déception des mauvais scores d’Haïti et avait promis de faire des reformes à la douane pour la rendre plus efficiente. Il avait lu le rapport de Paul Denis sur la corruption à la douane et se proposait de nettoyer les écuries d’Augias. Rien n’y fit. Le président Préval a continué avec le déficit de la bureaucratie étatique à la douane. La lutte contre la corruption est devenue un instrument idéologique du pouvoir contre ses opposants du moment.

Pour un contrat social qui respecte les droits fondamentaux de la personne humaine

Il faut ajouter à ces obstacles d’autres qui sont liés à l’industrie de la confection en tant que telle. Par exemple Jean-Paul Faubert, manager de la Société Haïtienne de Couture, SA (SOHACOSA), a signalé le manque d’espace industriel pour installer les usines (4). Il y a également la pénurie d’eau pour laver les pantalons jeans qui oblige les industries de sous-traitance à se concentrer à la capitale ou encore à envoyer les jeans en République Dominicaine pour être lavés avant de les retourner en Haïti pour finition et emballage. Les coûts d’un tel aller-retour viennent grever la compétitivité. L’approvisionnement électrique est aléatoire. Toutes les usines doivent avoir leur propre groupe électrogène pour travailler les heures supplémentaires. Les banques locales ne financent pas le secteur industriel et quand elles le font, les taux d’intérêt sont de plus de 30% alors que dans les pays concurrents de la Caraïbe, le taux d’intérêt est de 12%. Enfin, il y a l’insécurité et le kidnapping qui se poursuivent et de plus belle.


Les patrons haïtiens au lieu de s’attaquer à ces problèmes structuraux qui grignotent sur leur marge bénéficiaire préfèrent emprunter la voie de la compression salariale pour satisfaire leurs objectifs de performance et de profit. Cette manière de faire face à la concurrence des autres pays producteurs et à la contraction des débouchés est inacceptable. L’État a pour devoir d’assurer la justice dans le domaine de la rémunération des travailleurs. La débilité institutionnelle longuement démontrée dans la lenteur des procédures est reflétée dans les indicateurs discutés antérieurement. L’engrenage de la rigidité, de l’insécurité et de l’instabilité fonctionne à plein rendement. Malgré les discours, il n’y a pas la volonté politique d’écriture d’un contrat social qui respecte les droits fondamentaux de la personne humaine. L’État n’est pas crédible aussi bien dans sa politique de soutien au statu quo que dans celle du pourrissement consistant à laisser que ce soit le cours des événements qui décide.


Les mesures d’accompagnement pour aider les travailleurs à avoir de meilleures conditions de travail sont multiples. Par exemple, au Costa Rica, on a vu le gouvernement donner un job bonus pour cinq ans aux entrepreneurs de l’assemblage. De cette façon, et de manière dégressive, le gouvernement rembourse les entrepreneurs un pourcentage de leur masse salariale, soit 15% la première année, 13% la seconde, 11% la troisième, 9% la quatrième et 7% la dernière année. Egalement le gouvernement paie la formation de chaque nouvel ouvrier pour une période de trois mois. Ces deux initiatives reviennent à diminuer les coûts du travail d’un dollar par heure dans la zone franche de Puntarenas au Costa Rica.


Le péril de la stratégie économique d’extraversion

S’il faut anticiper, il ne faudrait pas rendre responsable les travailleurs des fermetures d’entreprises qui peuvent avoir lieu dans le secteur d’assemblage au cours des prochains mois. La logique de la sous-traitance et de ses cadences exagérées de quota de production va à l’ encontre des conquêtes réalisées par la classe ouvrière internationale au cours des années trente. La loi du salaire minimum est le fruit des combats menés par les syndicalistes américains après la grande dépression de 1929. Les travailleurs ne doivent pas être payés en fonction du nombre de pièces produites, mais plutôt en fonction du temps et de la difficulté du travail. Le travail à la pièce est dangereux pour la santé. Il cause des dégâts psychologiques et physiques. En effet, ce n’est pas seulement du stress qui est causé par ce genre de travail, mais aussi de fréquentes infections urinaires dues au fait que les travailleurs essaient de différer le plus longtemps possible d’aller aux toilettes afin de ne pas diminuer leur quota de production (5). Les patrons ne peuvent pas s’amuser à répercuter leurs demandes de profit et celles des donneurs d’ordre par des contraintes sur la baisse des salaires et la hausse des quotas de production. On sait que l’augmentation de la charge de travail est observée chaque fois qu’il y a augmentation des salaires. Par exemple, quand le salaire minimum a été augmenté de 28 à 30 centimes par heure en 1995, les sous-traitants ont augmenté les cadences et les quotas de 133% (6). Les patrons doivent respecter le salaire minimum en l’indexant sur le panier de la ménagère et en respectant le Code du Travail. Egalement, la politique monétaire de la banque centrale ne peut se faire uniquement au détriment du pouvoir d’achat des travailleurs. Comme le dit l’économiste Rémy Montas, “La tendance à l’appréciation du taux de change réel (base prix) aurait rendu les exportations haïtiennes tout à fait non compétitives si les salaires réels n’avaient pas connu de leur côté une tendance de fond à l’érosion, ce qui fait que le taux de change réel (base salaire) a évolué en faveur d’Haïti, dont les avantages compétitifs sont donc liés à la faiblesse et à la baisse du pouvoir d’achat des travailleurs. Ceci pose un problème évident au regard de la problématique de la pauvreté dans un pays où les salaires de base sont médiocres.” (7)

La demande d’équité des travailleurs est invincible. C’est un ressort incassable. Malgré les tentatives de contrôle de l’opinion par l’achat des consciences des patrons de presse et de leurs journalistes, les tentatives de diffamation ne peuvent rien contre la justesse des revendications pour le salaire minimum des 200 gourdes. L’activité générée par les huit entrepreneurs possédant les 26 entreprises de la sous-traitance dans l’industrie textile n’est pas un levier pouvant tirer l’économie globale vers le haut. Cette activité qui constitue 88% des exportations n’arrive pas à créer un revenu per capita significatif pour les travailleurs. Il y a une absence d’intégration de l’industrie d’assemblage dans le tissu économique national. D’une part, cette absence d’intégration est intérieure à l’évolution propre de ce secteur. Ce sont les entreprises full package qui sont de plus en plus utilisées par les donneurs d’ordre. Ces derniers recherchent des fabricants (des sous-traitants) qui ont un système d’intégration verticale leur permettant de produire depuis le fil jusqu’au vêtement. Or, pour le moment, seule l’entreprise Astralis appartenant à la famille Apaid est en mesure d’offrir de tels services.

D’autre part, Haïti ne peut faire l’économie d’une concertation de tous les acteurs sociaux pour résoudre le problème de l’incapacité de ses structures archaïques de production pour faire face à la concurrence chinoise dans le domaine du textile. Il faut un dialogue tripartite patrons-Etat-travailleurs pour permettre à Haïti d’être compétitif sur le marché international. Quand la Chine a des prix qui sont inférieurs de moitié à ceux de ses compétiteurs, ce n’est pas par la déflation salariale qu’Haïti pourra lui faire concurrence. La santé des travailleurs haïtiens ne peut pas servir de monnaie d’échange pour faire face aux prix dumping pratiqués par des concurrents. Les économistes haïtiens doivent se pencher sur les contraintes réelles et non pas se contenter de répéter le point de vue des patrons. Depuis la fin de l’Accord Multi Fibre (AMF) en 2004 et des quotas qui l’accompagnaient, il était clair que la sous-traitance textile haïtienne en subirait les contrecoups. Les solutions des lois HOPE I et II ne sont que des palliatifs si les obstacles structurels à la compétitivité ne sont pas résolus. Ce sont là les vrais problèmes qui demandent des solutions immédiates au lieu de s’acoquiner avec l’Etat pour comprimer les salaires des travailleurs. Les capitalistes qui ont une certaine éthique paient leurs ouvriers décemment afin que ces derniers aient un pouvoir d’achat leur permettant d’acheter ce qu’ils produisent. Ce fut le cas avec Henry Ford qui refusait que le salaire d’un patron soit supérieur de 40 fois à celui d’un ouvrier de base. Ford essayait de cette manière de résoudre la contradiction interne du cycle économique infernal du capitalisme. Le capitalisme de globalisation semble avoir passer outre cette recommandation de ce partisan des salaires élevés qui fut le patron de l’industrie automobile américaine. L’enlisement provoquée par la crise financière et économique mondiale sensibilise l’opinion publique internationale pour qu’elle prête oreille au mot du philosophe Alain Badiou qui dit que : « le capitalisme n’est qu’un banditisme, irrationnel dans son essence et dévastateur dans son devenir. Il a toujours fait payer quelques courtes décennies de prospérité sauvagement inégalitaires par des crises où disparaissent des quantités astronomiques de valeur, des expéditions punitives sanglantes dans toutes les zones jugées par lui stratégiques ou menaçantes, et des guerres mondiales où il se refaisait une santé. »(8)

Vers une autre manière de produire et de vivre

A partir des développements antérieurs, il est clair que la poursuite d’une politique de développement national basée sur les industries de sous-traitance est pour le moins hasardeuse. Le modèle de développement basé sur les exportations d’assemblage adossées à la législation américaine comporte des dangers pour la sécurité nationale d’un pays. En effet à tout moment, cette législation peut changer pour des raisons politiques, mais aussi pour des raisons économiques. Par exemple, si une entreprise américaine localisée dans le district d’un Congressman estime qu’elle est lésée par les importations de produits concurrentiels en provenance d’autres pays, elle peut actionner une procédure de remise en question des importations de ce produit. Le Département du Commerce américain soulève alors les leviers de ces agents qui diminuent les quotas alloués. Ceci est arrivé aux entreprises produisant des sous-vêtements et des pyjamas en 1995 dans le cadre du Caribbean Basin Initiative. La plupart des entreprises affectées baissèrent la tête et se soumirent aux décisions américaines. L’exception fut le Costa Rica qui ne se laissa pas intimider par les menaces. Le gouvernement américain fut traduit par le Costa Rica devant le tribunal de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Le Costa Rica gagna le procès le 25 février 1997 mais le mal était déjà fait. Les dommages faits au secteur de production des sous-vêtements et des pyjamas au Costa Rica ne furent pas compensés (9).

Les lignes de force qui se dégagent de notre analyse appellent à de sérieuses remises en question. Depuis près de quarante ans, l’industrie d’assemblage à une expérience en Haïti et dans la région qui permet un décryptage. La survie de cette industrie ne doit pas se faire au détriment des travailleurs. Les fondamentaux du secteur d’assemblage ne sont pas solides et ce dernier ne peut pas constituer une locomotive pour le développement national. L’augmentation de la productivité ne peut pas reposer uniquement sur les bas salaires. Des changements technologiques, organisationnels, financiers mais surtout politiques sont incontournables pour améliorer la compétitivité. Haïti ne peut pas continuer de renoncer à la distance critique que demande toute politique articulée sur la réflexion. En tenant compte des injonctions du présent et du scepticisme généralisé, la société doit trouver une autre voie loin des sentiers battus. Haïti doit aller vers autre chose, vers une autre manière de produire et de vivre.
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(1) John Rawls, Theory of Justice, Harvard University Press, Cambridge, Boston, 1971. L’ouvrage a été traduit en français sous le titre Théorie de la Justice et a paru aux Editions du Seuil en France en 1987. L’article de John Rawls « La justice comme équité », est le premier chapitre de l’ouvrage Théorie de la Justice.

(2) Banque Mondiale, Doing Business 2009, Washington, D.C., 2008.

(3) CEPAL, Haití : Evolución Económica durante 2007 y Perspectivas para 2008, México, Octubre 2008, p. 31.

(4) United States International Trade Commission, Textiles and Apparel: Effects of Special Rules for Haiti on Trade Markets and Industries, Washington, D.C. June 2008, p. 2-4.

(5) Piya Pangsapa, «The Piece Work System and “New Slaves” of the Apparel Industry », Case Studies of Labor and Labor Movements, Labor and Labor Movements Roundtables, 100th Annual Meeting of the American Sociological Association, “Comparative Perspectives, Competing Explanations,” Philadelphia, PA, August 14, 2005.

(6) “Sara Lee – How it deals with wage increase, but have bigger daily quota and wage-cheating increase, the U.S. in Haiti – How to Get Rich on 11 cents an Hour”, a report prepared for the National Labor Committee, January 1996. Voir aussi Julia Lutsky, “Haiti sweatshops: Your taxes at work”, People’s Weekly World, 23 march 1996.

(7) Rémy Montas, La Pauvreté en Haïti : Situation, Causes et Politiques de sortie, Commission Économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPALC), Mexico, 12 Août 2005, p. 5.

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L'article ci-dessus est publié par AlterPresse ici.
La version postée ci-dessus provient du professeur Adrien Bance