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mardi 22 juin 2010

Haïti/Politique/Marc Bazin vu par Gérard Bissainthe

Source: vinoush, juedi 17 juin 2010, 22h 24min 54s
UNE PAGE D’HISTOIRE QUI SE TOURNE


Marc Bazin nous a quittés

par Gérard Bissainthe

Il s’appelait Marc Bazin.
Nous l'appelions tous Marco; il n'y en avait pas deux.

Nous, c'est ce que j'appelle le "groupe de Paris", comme j’aime à designer ces Haïtiens qui ont fait leurs études dans la Ville Lumière dans les années 1950-1960. Ils avaient en commun d'avoir été dans ce haut lieu de la pensée occidentale en ces temps de l'après-guerre pendant lesquels le monde se refaisait, repartait sur de nouvelles bases. Qui n'a pas connu Paris en ces temps-là n'a pas connu Paris. C’était le temps des Français qui avaient nom De Gaulle, Mitterrand, Sartre, Camus, Aron, Senghor, Césaire, Alioune Diop, Cheik Anta Diop, Mauriac, Mounier, les plus grands.

La crème de notre jeunesse y était alors: Jean Claude (de Jacmel), Gérard Gourgues, Leslie Manigat, Marc Bazin (Marco), Max Chancy, Pierre Riché, Edriss Saint-Amand, Jacques Stephen Alexis, René Depestre, Ernst Avin. Une deuxième vague de plus jeunes vint après: Gérard Latortue, ma cousine Micheline Dominique, la sœur de Jean Dominique, René Saint Louis, Marie-Thérèse Valès. J'en passe et des meilleurs.

Je terminais alors mes études de théologie au Grand Scolasticat des Pères du Saint-Esprit à Chevilly-Larue aux portes de Paris avec entre autres Ernst Verdieu, Roger Pereira, Jean-Paul Claude, Pierre Déjean. Je faisais fonction d'aumônier des étudiants haïtiens de France.

Max Chancy, brillant élève du Collège Saint-Martial, qui m'avait confié en 1947 que son rêve était d'être près de moi un grand militant catholique (c’était longtemps avant son engagement dans le communisme), me servait de lien avec la communauté des étudiants haïtiens de Paris. C'est par lui d'abord que je fis la connaissance de la première vague de ceux que j'ai cités plus haut. Ce groupe avait en quelque sorte deux vedettes: Leslie Manigat qui pour tout le monde était Leslie et Marc Bazin que tout le monde appelait Marco, deux hommes issus de deux grandes familles du Nord et qui en tireront toujours des motifs de fierté, même si eux-mêmes vinrent au monde hors du "Grand Nord". Deux hommes, deux profils: Leslie l'universitaire habile à disséquer des idées, Marco déjà le tribun qui aurait pu devenir un autre Emile Saint-Lot, s'il avait eu la veine populiste, mais il ne l'avait pas. Il était plutôt un aristocrate et un technocrate, indifférent aux idéologies, qui rêvait avant tout de gérer, de conduire une voiture politique, peu importe la marque, pourvu qu'il fût au volant.

A Paris je constatais que beaucoup pouvaient en vouloir à Marco pour une raison ou pour une autre; mais au fond tout le monde l'aimait pour sa vitalité, sa chaleur humaine, ce côté "Renaissance Man" qui le faisait aimer les joies de l'existence, son courage aussi: il se racontait qu'on l'avait vu sur le Boul' Mich' au cours d’une manifestation faire le coup de poing aux côtés des étudiants africains.

Après Paris où déjà il croisait le fer avec Leslie Manigat, je le perdis de vue pendant très longtemps. Je devais le retrouver des décennies plus tard, à New York où moi-même j'étais professeur à la City University of New York et lui Directeur dans cette ville du Bureau de la Banque Mondiale, un poste des plus prestigieux. Nous fîmes ensemble, pour ne pas changer, des plans pour "sauver Haïti".

"Sauver Haïti" c'était l'obsession de cette génération haïtienne de l'après-guerre qui restera certainement une des plus brillantes et des plus douées de notre histoire. Elle avait tout pour "sauver Haïti". Si elle n'a pu que poser les bases sans édifier les murs, il y a à cela des raisons complexes que j'analyse longuement ailleurs. Mais je peux porter ce témoignage que Marc Bazin, Marco, voulait sincèrement le salut d’Haïti, la preuve en est qu'il aurait pu, s'il l'avait voulu, réussir à merveille en dehors du pays, comme cela avait déjà été le cas. Mais retourné au pays après la chute de Jean-Claude Duvalier, il m'avait confié que, quoi qu'il arrive, il ne repartirait plus jamais à l'étranger et qu'il finirait ses jours en Haïti.

Il a été très controversé. Je l'ai moi-même parfois combattu sans ménagements; il en fit autant pour moi; car entre lui et moi il y avait le contentieux de la souveraineté nationale. Mais j'ai toujours reconnu sa valeur. Lorsque le Président Nérette insistait pour que j'accepte le poste de Premier Ministre, c'est moi-même qui lui recommandai de faire plutôt appel à Marc Bazin; ce qu'il fit. C'est moi qui annonçai la nouvelle de cette décision à Marco à cinq heures du matin, car il était très matinal comme moi.

J'avoue que je n'avais pas encore bien compris le mécanisme des engrenages de notre machine politique et l'enchevêtrement des pièces de notre puzzle. J’ai mis du temps à le comprendre. Pour moi ce que nous devions faire pour "sauver Haïti" c'est
-d'abord "bondir hors du cercle";
-puis "briser le compas".
Mon idée était d'envoyer Marco à l'attaque pour qu'il déblaie le terrain en "bondissant hors du cercle". Puis une autre équipe serait venue pour "briser le compas", autrement dit: détruire le système en mettant à la place un autre système.

Je ne crois pas que Marco ait agit comme notre soi-disant-Gauche de l'après 1986, dont le fer de lance était constitué de quelques très rares authentiques résistants et surtout d'anciens jean-claudistes, quelques uns sincères, d’autres prétendument repentis et qu'il se soit fait comme eux à l'idée de devenir une marionnette aux mains des "tuteurs de facto" de la communauté internationale. Il s'est passé, à mon avis, autre chose. Comme il avait travaillé dans les réseaux internationaux, qu'on y avait reconnu sa valeur, qu'il y avait occupé des postes clés, il était dans ces réseaux internationaux comme un poisson dans l'eau et il gérait Haïti non comme un indigène, mais comme un cadre étranger. Il se sentait lui-même avec "le Blanc" sur un pied d'égalité, parlait la même langue, avait les mêmes réflexes et finissait, sans le savoir, par défendre les mêmes causes. D'autres compatriotes sont tombés dans le même panneau. Marc Bazin pratiquait une "gestion externe" d'Haïti, celle qui nous avait jusqu'ici plongés dans tous nos marasmes, au lieu de pratiquer une "gestion interne", celle que je voulais et qui est la seule qui pourra nous sauver.

Je dois dire que longtemps auparavant, lorsque j’étais Ministre de la Culture et de l’Information, Frantz Merceron, ex-Ministre des Finances, avait fait le voyage de Paris à Miami pour venir me dire que c'est moi qui devrais accepter le poste de Premier Ministre et non pas Marc Bazin, car il avait entendu parler de mon projet de propulser Bazin à la Primature. Je crus comprendre qu’entre lui et Marco le torchon avait parfois brûlé. A son grand regret, il ne put me convaincre.

Je dois dire aussi qu’en 1986 revenu en Haïti, après n'avoir jamais trempé dans le duvaliérisme, même dans sa mouture jean-claudiste, sous quelque forme que ce soit, partisan comme je l'ai toujours été d'une solution "nationaliste-souverainiste", je ne voyais pas d'objection à travailler avec les anciens duvaliéristes, pourvu qu'ils fussent ouverts au changement. Je ne pouvais faire la fine bouche: des anciens duvaliéristes il y en avait partout et les pires étaient ceux d'entre eux qui jouaient les purs, après avoir rallié la résistance au petit matin du 7 février 1986. Si l’Ambassadeur de France, /Michel de la Fournière, me présentait au Ministre de la Coopération française, Michel Aurillac en visite en Haïti en 1986 comme un "héros de la résistance haïtienne", je lui faisais remarquer après que les vrais héros étaient morts, que je n’étais qu’un survivant.

Lorsque Marco devint Premier Ministre, la tutelle était déjà programmée. En fait elle l'a été depuis 1986 au moins. La mise sur pied de cette tutelle fut même la vraie mission de moult organisations politiques ou parapolitiques qui germèrent, comme des champignons, avec des fonds étrangers souvent des plus opaques, après le départ de Jean-Claude Duvalier, et qui constituèrent cette nébuleuse qu'on appelait tantôt la "Gauche" et tantôt "le Secteur Démocratique". Beaucoup de dirigeants de cette nébuleuse dont je connaissais tous les tenants et aboutissants, étaient comme les radis "rouges à l'extérieur, blancs à l'intérieur et toujours près de l'assiette au beurre". De ce temps date ma rupture avec bien des membres d’une Gauche chrétienne haïtienne que j'avais en quelque sorte portée sur les fonts baptismaux dans les années 1960 avec le mouvement personnaliste que j'avais lancé à la Bibliothèque des Jeunes et qu'on avait dévoyé pour en faire une soi-disant-Gauche de Grands-Guignols, celle qui écrivait que "le Père Lebrun est une exigence de justice stricte" (je n'invente rien). Cette soi-disant-Gauche détestait Marco, comme elle détestait aussi d'ailleurs Leslie Manigat. Pour cette soi-disant-Gauche avoir de l'esprit était et est toujours une forme de provocation.

La soi-disant-Gauche restera la peste et le choléra de l'après-Duvalier.

"Sé leu on couleuv mouri ou kon'n longeu'l" (c’est lorsqu’une couleuvrfe est morte, que l’on connaît sa longueur). Cela vaut pour Marc Bazin. Mais, il est encore trop tôt pour se mettre à le mesurer. On pourra difficilement le comprendre sans le mettre dans son contexte et sans connaître la nature du terrain sur lequel il évoluait. Lui-même le connaissait-il vraiment? J'en doute. Lorsque j'ai eu, moi, la révélation un jour qu'un des représentant en Haïti d'une grande agence de presse européenne avait émargé pendant tout le règne de Jean-Claude Duvalier et émargeait encore après 1986 au budget de notre Ministère de l'Intérieur, je me suis rendu compte que beaucoup d'éléments-clés de la nature du terrain m'échappaient.

Qu’est-ce qui faisait courir Marco ? Quels étaient ses objectifs ?

Les objectifs de la soi-disant-Gauche étaient et sont la tutelle étrangère, le retour à la colonisation. La Théologie de la Libération version haïtienne n’est pas devenue, comme je l’ai cru à un moment, Théologie de l’Occupation. Elle était dès le départ Théologie de l’Occupation. Sur ce point les objectifs de Marc Bazin ont toujours eu quelque chose d’un peu énigmatique pour moi. S’il avait voulu comme la soi-disant-Gauche créer ou renforcer la tutelle, ces messieurs et dames peu scrupuleux lui auraient offert de partager avec lui le gâteau, qu’il fût américain ou français, c’était si peu leur souci, au lieu de lui livrer une guerre à mort. Si la soi-disant-Gauche détestait aussi bien Bazin que Manigat, c’est que ces deux leaders avaient en commun quelque chose. Quoi? Voilà un beau sujet d’enquête. Peut-être Bazin était-il, Leslie est-il aussi allergiques aux thèses sidérantes pour retardés et débiles des pays du Nord comme des pays du Sud d’un Régis Debray, souverain pontife de cette soi-disant-Gauche. Quand on a été formé en France pendant les années fortes de l’après-guerre, on est vacciné contre les inepties pseudo-scientifiques.

J'ai eu à faire des pieds et des mains, depuis Paris car je suis têtu, pour rapprocher Marc Bazin et Leslie Manigat. Il me semblait qu'ils pouvaient et devaient se compléter. Ce fut toujours en vain. Marco y était ouvert. Leslie a toujours pensé que ce tandem ne marcherait pas.

Marco est et reste un grand de notre vie politique. Il n’a jamais renié Haïti. Résistant aux sirènes étrangères, il a consacré sa vie à cette Haïti qui a fait corps avec lui.

Quelques uns me diront peut-être que si aujourd'hui je semble "donner l'absolution" à Marc Bazin, c'est par une sorte de... déformation professionnelle. Ce qui est vrai c'est qu'aux pires moments de mes dissensions avec lui (et c'est arrivé aussi avec d'autres), je n'ai jamais pu m'empêcher d'éprouver le sentiment que j'avais… charge d'âme et que je devais tout tenter pour le "sauver". Il y a tout un clair-obscur de la politique haïtienne qui échappera toujours au grand public, celui, par exemple, où un Max Chancy, fier meneur du parti communiste haïtien, viendra me dire un jour en 1961 ses doutes ou même son désarroi. Je ne canoniserai pas Marc Bazin, comme je ne canoniserai personne, n’ayant d’ailleurs aucun pouvoir pour ce faire. Mais je lui rendrai la justice de reconnaitre ses qualités, il en eut de grandes, et ses mérites, il en eut de grands. Il est un des fils du pays dont le pays peut être fier.

La mort de Marco crée un grand vide, qu'apparemment rien ne vient combler. Je suis de ceux qui regrettent profondément que cet homme vivant, au verbe chaud, au rire parfois homérique, cultivé, blagueur, goguenard, aimant charnellement son pays, toujours optimiste ne soit plus avec nous.

Je présente à son épouse, à sa famille, à son mouvement le MIDH mes plus sincères condoléances.

Adieu, Marco.

Gérard Bissainthe
17 juin 2010

Haïti/Politique/Marc Bazin vu par Leslie F. Manigat

Source: haiti-nation.com, mardi 22 juin 2010, 1h 26min 01s

Ce n’est qu’un AU REVOIR, Marco !
par Leslie F. MANIGAT

Le départ pour l’éternité du camarade fraternel Marc Bazin, Marco pour les proches de sa génération et les familiers de ses relations les plus fréquentés, constitue une brusque accélération d’une vie qui ne demandait qu’a se prolonger encore pour la délectation des siens et sa joie épicurienne des plaisirs de l’existence, si la pernicieuse maladie n’avait pas si vite fait ses ravages là où il restait le plus fort, le cerveau atteint par des métastases fatales venues d’ailleurs. Car, dans les deux sens du terme, Marco était un cerveau. Un fort en thèmes, économiste de formation, spécialiste en affaires bancaires comme dominantes de son expérience pratique, un expert au service de la Banque Mondiale en Afrique puis dans la capitale américaine, à Washington, où ses services avaient mérité l’attention soutenue de Mac Namara, ce qu’il aimait rappeler.. Et un cerveau dans le sens qu’il s’était impliqué dans les jeux de la politique active plus souvent du côté de la gouvernance et de sa gestion que de l’opposition dont n’avait ni le gout ni le tempérament. Marco se voulait un homme de pouvoir et il l’a été de Jean-Claude Duvalier dont il voulait être le « mentor », à Aristide par lequel il s’est laisse tutorer dans une relation ambiguë, mais par choix politique délibéré, et illusoire pour avoir sous-estimé les incompatibilités du populisme lavalassien ascendant et allergique à une conciliation sans capitulation. La nouvelle donne avait changé la règle du jeu en faveur du tout ou rien, alors que Bazin continuait à penser aux « combinaziones » classiques et aux alliances traditionnelles sur la base des rapports de forces. Il lui est arrive à définir et a mettre en équation le salut du pays dans une coalition équilibrée entre Aristide et lui, avec les atouts de sa supériorité tactique qualitative adjointe aux forces belligérantes quantitatives titidiennes. Il appelait cela, me disait-il, sa « recette ». Illusion d’optique.

Un grand nom est efface dans la mémoire de l’actualité vivante transitoire, mais s’est inscrit, en sa pérennité historique, dans le monde de la mémoire historique haitienne parmi ceux qui ont fait notre histoire contemporaine. A d’autres de dire s’il était aimé, à d’autres encore de dire s’il méritait l’admiration dont il était l’objet dans le monde des économistes de ce pays, à certains d’expliquer pourquoi ils misaient davantage sur Rico, le frère, en maitière de sciences économiques appliquées. J’ai eu l’élan sincère récemment, de lui faire un éloge remarqué, fait insolite pour lequel il m’a exprime lui-même sa SURPRISE ravie. Mais je sais, et c’est ce que j’ai dit, que dans ce grand public lettre qui appréciait son talent, il y avait peu pour l’émuler et trop pour le critiquer. A sa manière, c’était un grand bonhomme et il me fallait le dire, moi surtout.

Il a tout fait pour plaire. Il se savait charmeur, du football à la Cite Universitaire de Paris où il se faisait une popularité de plaisance, aux salons de la coquetterie bourgeoise où l’homme du monde accompli trouvait ses complaisances comme en terrain conquis. Mais il y avait là un jeu ambigu, car Marco avait été et est resté un « quarante-sizard », sous Estimé où sa famille était aux affaires, puis sous Magloire où les affaires faisaient sa famille. Estimé était réputé austère, Magloire était un bambocheur. Il ralliait beaucoup de monde par sa manière. Notamment les Nordistes de l’ancienne aristocratie christophienne installés à Port-au-Prince et mal adaptés à la domination de la bourgeoisie dorée des bords de mer, des clubs sélects (genre Bellevue), et des résidences collinaires fleuries du haut patriciat du Bois Verna et de la Coupe. Marco, à partir de la détente sous Magloire, a voulu représenter l’opulence rassise de ces groupes, en s’érigeant en homme politique de droite sensible à leur éminence sociale et exploitant leur situation politique d’orphelins d’une candidature qui leur fut propre après 1946 sauf Déjoie. Bazin a pensé que c’était une place à prendre. Mais une partie de cette haute société nantie restait allergique au charme déployé par l’ancien quarante-sizard. Et celui-ci le savait. on était encore près de 1946. On se racontait assez souvent pour être connu dans les milieux les plus divers, l’incident de Jean-Robert Estimé à qui un membre de la haute société traditionnelle avait lance dédaigneusement au cours d’une simple plaisanterie d’amis devenue un mot malheureux : « Mon cher J-R, dans notre société, c’est moi qui vous fait sonner et pas l’inverse ! », c'est-à-dire comme à table, on sonne un membre du personnel domestique pour le service. Le pays a changé heureusement depuis 1946.

C’est dans ce contexte de changement que j’ai connu Marco le mieux. On fréquentait le Centre Démocratique que Léopold Berlanger abritait et Marc Bazin s’y positionnait comme homme de droite, un libéral en tout, pensée, idéologie, économie, société, culture, religion, profil identitaire, relations sociales. La droite libérale était son capharnaüm, tandis qu’il me regardait, avec ma position de centre progressiste comme trop dans la proximité de la gauche alors en vogue dans la jeunesse instruite et dans les milieux intellectuels. Mais c’est la que j’ai eu l’opportunité de rencontres avec l’homme politique. J’ai encore, en souvenir, la cordialité de nos relations d’adultes dont l’origine venait de l’enfance et de l’adolescence communes sous Vincent et Lescot et dont la foi centriste venait du danger des extrémistes du « rancher manioc ».

Il avait su constituer un mouvement féminin dans son parti, le MIDH, qui avait une présence active comme groupe de pression qui comptait dans l’imaginaire collectif avec des échantillons de valeur et remuants du deuxième sexe. Certains disaient que c’était ce qu’il y avait de meilleur dans le MIDH.

Mais le MIDH, c’était Bazin. Une valeur, un joueur, un destin. Une valeur au double titre de l’oracle économiste et de la figure de proue politique. Deux ouvrages de vulgarisation et certains de ses meilleurs discours et interventions ont consacre la réputation de l’oracle économiste et financier. Frédéric Marcelin avait été un premier crayon qu’il n’a pas pu être lui-même plus tard. Il avait la parole éloquente et le verbe rémininiscent. Son genre plus hautain que suffisant, était perçu comme arrogant. J’y voyais plutôt sa manière d’imposer une autorité savante. Paroles, paroles, paroles, il admirait Emile Saint Lot mais n’avait pas le style pour l’émuler. Il y suppléait comme joueur car c’était un operateur de talent.

Animal politique, même quand il n’avait pas le pouvoir, il savait en gérer la gouvernance, de Jean-Claude à Cedras. On l’a vu, premier Ministre, se coiffer du deuxième chapeau de chef de l’État sans le titre nominal, ce qui a manque a sa carrière. Quarante ans de présence politique dans les couloirs du palais national ou dans les dédales de la « non-opposition », position qu’il avait l’heur d’incarner même dans ses relations avec Aristide et les chimères lavalassiennes. Candidat à la présidence sans interruption de Jean-Claude à Titide, sans prison ni exil, capable d’une souplesse d’échine, Marco était capable de sourire de lui-même, et de ne pas se prendre trop au sérieux, performance qu’il partageait avec les hommes de théâtre quand il n’a pas hésite a monter sur scène dans des spectacles publics et dans des danses dont le souvenir n’a pas beaucoup aidé à sa réputation d’homme de pensée. Mais c’était péché de jeunesse.

Marco a eu une fidélité exemplaire, celle de son assurance tous risques, que les Américains allaient lui donner ce pouvoir haïtien qui lui était réservé par eux. Candidat des Américains, était une certitude chez lui, et je me rappelle une conversation avec André Louis, secrétaire-général de l’Internationale de la Démocratie Chrétienne (IDC), au Département d’État, quand à une question d’André Louis demandant pourquoi les Américains du State Deparment ne voulaient même pas considérer la candidature de Manigat pour son propre mérite, la réponse a été : « parce que nous appuyons déjà la candidature de Marc Bazin, c’est lui notre choix comme candidat pour Haiti ». Paroles qui m’ont été naturellement rapportées par le secrétaire-général de mon Internationale et grand ami personnel. Plus tard, rentré d’exil et candidat à la présidence haïtienne, comme Peña Gomez candidat à la présidence de la République Dominicaine, avec lequel j’entretenais depuis Paris d’excellentes relations personnelles, il m’a dit : Leslie, tu dois soigner tes relations avec les Américains, je lui ai raconté l’épisode André Louis, il a hoché la tête, et quand je l’ai assuré que nonobstant je ferai tout le possible pour être acceptable pour les américains le cas échéant dans mon combat patriotique pour la présidence de mon pays sans chercher a être leur favori, (ou comme on dit chez nous leur « sousou »), il m’a souri son accord de voisin amical compatissant. Nous rêvions alors, le candidat socialiste dominicain et le candidat social-chrétien haitien, de devenir une réplique Adenauer-De Gaulle de la réconciliation haïtien-dominicaine, ces deux frères ennemis héréditaires de l’histoire insulaire partagée.

Petit pays ! Je me souviens d’une note exprimant les préférences des anglais, des américains, et grosse surprise, des français (c’était, il est vrai, a l’époque de Hanotaux) à ne pas voir Firmin arriver au pouvoir en Haiti. Les options des grands !

Parfois, c’est simplement la perception d’un moment qui ne prend pas corps définitif. Le quotidien jamaïcain « Le Daily Gleaner » a publié à la chute de Jean-Claude Duvalier deux articles éditoriaux présentant la compétition attendue de Bazin et de Manigat comme le duel entre les deux plus grandes figures de l’actualité politique haïtienne. Rien de tel ne s’est produit, et cet antagonisme binaire polarisateur a fait place à un trop plein qui a caractérisé l’échiquier politique haïtien, projeté sur la scène politique mondiale.

Mais Bazin, pour revenir à nos moutons, était, avant de mourir, en train de se faire une cure de jouvence intellectuelle en se replaçant au lime light de l’actualité haïtienne, d’une part avec l’icône de la jeunesse à la mode , le fondateur de « Ticket » devenu récemment le rédacteur en chef du Nouvelliste, qui était en train de promouvoir en vogue soutenue des grandes figures contemporaines du monde de l’esprit chez nous, en commençant avec Georges Anglade, Monsieur « Géographie » lu et étudié dans toutes les écoles sur toute l’étendue du territoire haïtien, englouti dans l’horrible tragédie de 12 janvier 2010, mon ami et compagnon de « bout de route ». La promotion de ce groupe-caucus incluait déjà Marc Bazin comme devant être le second, lui aussi affublé d’un chapeau aux larges bords dont on se demandait s’il n’allait pas devenir emblématique. Et d’autre part, avec la place stellaire qu’il venait de se tailler avec le groupe Boulos dans un plan –marathon pour le sauvetage national d’Haiti, dont la partie économique et financière porte sa griffe. Bazin s’était fait réintroduire sous les feux de la rampe.

Il faut se rendre à l’évidence. La perfection n’étant pas de ce monde, Marc Bazin était un poids lourd du savoir et du pouvoir haitien, sans négliger d’être aussi, mais a un degré moindre, un homme de l’avoir, acquis avec mesure. Tous ces talents, toutes ces ressources, toutes ces opportunités, tout cet art de profiter des circonstances, même artificiellernent créées pour se maintenir au premier rang, et jusqu’à cette fragilité mondaine de sa cuirasse, tout lui servait de capital en politique. Qui n’a pas connu Marco dans notre génération, imprévisible et pourtant identifiable ? Hervé Boyer, Clovis Désinor, Max Chancy, Gerard Bissainthe, Marc Balin, Lucien Benjamin, Jean-Claude Bajeux, Ernst Verdieu, Jean Claude et Pierrot Riché, et, pour rester à l’intérieur de notre génération, son frère Rico et moi-même, le censurions bien à l’occasion, mais comme pour dire avec l’autre « Va, je ne te hais point ». Ce n’est qu’un triste Au REVOIR d’ami qu’exprime ma réaction émotionnelle devant la disparition d’un cadet de deux ans qui n’a pas perdu ses traces même en ne pas toujours avoir cultivé assidument les jardins d’une amitié restée pérennement souriante qui va manquer à l’appel du vécu quotidien quand on savait que tu étais là. Une génération s’en va progressivement, consacrons au départ d’un de ses membres les plus en vue, les plus contestés, les plus sérieux pour l’essentiel, les plus valeureux et les plus chargés de chaleur humaine souriante malgré la froideur d’un masque aristocratico-technocratique, « una furtiva lagrima ».

Et surtout, sachons garder la mémoire des hommes qui ont enrichi le patrimoine intellectuel et politique du pays d’Haiti.
LFM

mardi 29 décembre 2009

LES NOUVELLES LAMENTATIONS DU CHŒUR DES PLEUREURS ET DES PLEUREUSES (1)


par Gérard Bissainthe
gerarbis@orange.fr
29 décembre 2009


Il faut écouter le Chœur des Pleureurs et des Pleureuses qui emplissent le ciel, à fendre l'âme, de leurs cris de douleur dès qu'on touche à leur Minustah.

--Oh, ma chère, tu te rends compte! Ils osent attaquer notre Minustah chérie.
--Encore! Qui? Ray?
--Non, Ray est un allié. Un certain Keny.
--Keny? Keny? Connais pas.
--C'est un nouveau. Il n'y a pas longtemps qu'il est descendu dans l'arène.
--Ah! On y voit de tout par les temps qui courent.
--il faudrait sélectionner.
--Que veux-tu dire?
--Comme pour les élections ? Ne pas laisser entrer tout le monde.
--Tu veux dire que pour le Web il faudrait aussi un CEP?
--Bien sûr, ma chère. Au moins pour les Haïtiens.
--Mais à propos que veut dire CEP?
--Tu veux le vrai sens ou le faux?
--Le vrai, bien sûr.
--Ne le dis à personne. Pour ceux qui l'ont fondé CEP veut dire le "Comité des Emmerdeurs Patentés".
--Entre nous soit dit, je m'en doutais.
--Mais pourquoi donc ils ne veulent pas de notre Minustah chérie?
--Ce Keny et d'autres parlent de patriotisme, de souveraineté nationale, de fierté...
--Oh la! la! la! la! la! la! la! la! En plein vingt-et-unième siècle?
--Eh oui, ma chère!
--Je croyais qu’on avait supprimé cette engeance.
--Faut croire que le travail a été très mal fait.
--Qui devait la supprimer ?
--La Gogauche
--Parce qu’on comptait sur ces nuls ?
--C’était les moins chers.
--C N G !
--Ca veut dire quoi?
--Cas Nou Grave ! Et des Keny comme ça il y en a beaucoup. Ils ont tout un camp. Ils l'appellent le "Camp Patriotique".
--Et qu'est-ce qu’on trouve dans le Camp Patriotique?
--Mais, voyons, des Patriotes, ma chère.
--Tu es sûre que ce sont des Haïtiens?
--Apparemment oui. Ils ont tous des Ti-Zoreilles.
--Et que va faire contre eux notre Minustah chérie?
--Je leur avais envoyé un rapport sur ce grave danger.
--Et qu'est-ce qu'ils ont fait?
--Les Chefs ce jour-là étaient à la plage
--Tu veux dire que les Chefs de la Minustah vont à la plage?
--Ils sont bien obligés et ils y sont quasiment tout le temps.
--Pourquoi?
--Ils disent qu'ils sont à la plage pour observer la mer, car c’est de la mer que peuvent venir des invasions. Ils ont une conscience professionnelle farouche.
--Mais ton rapport, est-ce qu'au moins ils l'ont lu?
--Finalement il est tombé dans les mains d'un Chef qui venait d'une tribu océanienne: car toutes les tribus de la planète sont représentées dans notre Minustah chérie. Ce Chef a dit qu'il n'était pas tenu de le lire, parce que ce rapport n'était pas dans son dialecte. Donc il n’a jamais été lu.
--Jésus Marie Joseph! Mais, ma chère, nous dansons sur un volcan.
--Danser c’est beaucoup dire, car il n’y a pas de quoi festoyer. Disons au moins que nous sommes assis dessus.
--Que faire?
--Nous avons soumis le problème à Ray.
--Pourquoi Ray?
--Ray a ouvert une entreprise de culture.
--Et qu’est-ce qu’il cultive?
--L’Exécution. (2)
--Parce qu’on peut cultiver l’Exécution?
--D’autres se lancent bien dans la culture du riz, des choux, des perles, des poules. Pourquoi pas de l’Exécution? Il fallait seulement y penser.
--Et ça rapporte?
--Oh que non! Ray est un idéaliste. Ça lui rapporte des emmerdes. Tout le monde lui tombe dessus. Mais il tient ferme.
--Exécution pour exécution, pourquoi ne fait-il pas passer ceux qui l’emmerdent devant un peloton d’exécution?
--Non, Ray est un non-violent.
--Il n’est pas ceinture noire dans les Arts Martiaux?
--Non. C’est un homme intelligent. Seulement dans les Arts Libéraux.
--Et tu crois que Ray pourra nous sauver du grave danger posé par les Patriotes?
--Ray est notre
“Espoir suprême et suprême pensée”
--Et si Ray échoue, ces Patriotes vont continuer à courir dans l’arène politique?
--Eh oui, ma chère.
--En attendant, aussi longtemps que nous avons notre chère Minustah, chérissons-la.
Minustah de mon cœur,
Douce comme une aubergine.
Je mourrai de langueur,
Si ton mandat s’ termine

--Tu es mon bœuf salé

--Ma savane désolée!

--Toi mon Jacquot-Pieds-Verts
Avec tes billets verts.

--Sans toi je ne suis rien

--Avec toi je suis tout.

--Tu me veux tant de bien
Que je suis ton toutou.

Ainsi discourait et chantait au clair de lune le Chœur des Pleureurs et des Pleureuses
__________________
NDCDP-Politique.-
  1. Le texte original est publié, entres autres media, par le forum Haiti-nation, no. 16107, Mar 29 Décembre 2009, 5 h 09 min 57 s. L'auteur, le professeur Gérard Bissainthe, est l'une des plus grandes figures de l'élite intellectuelle haïtienne (et mondiale) de la deuxième moitié du XXe siècle et du début du XXIe siècle. Pour bien comprendre son texte, on peut lire les échanges récents entre Ray Killick, Keny Bastien et d'autres sur les différents fora haïtiens sur le Web.
  2. Culture d'Exécution.- Pour savoir de quoi il s'agit, on peut lire les remarquables interventions de Ray Killick, ing., Ph.D., sur le forum HaitianPolitics en 2005-2006. On peut également lire l'ouvrage EXECUTION: the discipline of getting things done, par Larry Bossidy et Ram Charan, publié par Crown Business, NY, 2002, une branche de Random House inc.; Library of Congress Catalog: HD31 . B626 2002, 278 pages.