jeudi 10 septembre 2015

Derniers regards de Pamela White sur Haïti

Par Valéry Daudier
Source: lenouvelliste, 21 août 2015


Après trois ans de service, l’ambassadeur des Etats-Unis en Haïti s’apprête à faire ses valises. Ann Pamela White était venue « enthousiaste », elle repart avec le même sentiment. Pour avoir côtoyé toute la classe politique haïtienne, Pamela White trouve nos politiciens « intelligents » et « passionnés » de leur pays. Le problème, ils s’accusent les uns les autres et n’arrivent pas à s’entendre sur un projet commun pour Haïti. En ce qui a trait à la corruption, Pamela White soutient qu'elle est à tous les niveaux. Il y a un prix à payer pour n'importe quoi ici. 






L'Ambassadrice des États-Unis en Haïti, Pamela White
***




Pour se rendre au bureau de l’ambassadeur des Etats-Unis en Haïti, il faut passer sous deux détecteurs de métal de l’imposant bâtiment de l’ambassade à Tabarre. On prend l’ascenseur. Niveau 3. Après deux minutes d’attente, une porte s’ouvre, on tombe sur Ann Pamela White. Du haut de ses 67 ans, la diplomate a l’allure d’une adolescente. Elle est élégante. Large sourire, elle serre la main aux journalistes du Nouvelliste. Après quelques prises de photos, on se dirige vers son bureau. Photos de famille, photos officielles… des moments immortalisés sont accrochés au mur. Des courriers, des lettres de nomination signées du président Barack Obama, des présents, entre autres, ornent le bureau.


Avec l’ambassadeur américain, on aborde plusieurs points, notamment la question de corruption, un véritable fléau. Elle dit en parler avec le président Michel Martelly, le ministre de la Justice Pierre Richard Casimir entre autres. « Ils sont d’accord avec moi que la corruption existe à tous les niveaux, confie l’ambassadeur. On peut être en prison et acheter sa liberté. Il y a un prix pour n’importe quoi ici. Et ce, dans l’administration publique, dans le secteur politique, etc. »


Même pour des gens qui gagnent souvent les rues pour une raison ou une autre, la diplomate estime que quelqu’un paye toujours la facture. « Chaque fois que je vois une manifestation, je me demande qui a payé pour ça, lâche l’ambassadeur. De temps en temps, il y a des gens dans la rue, car il y a une cause pour qu’ils soient là. De mon point de vue, c’est quelque chose de bien. Mais s’ils sont là parce que quelqu’un a payé, c’est quelque chose de différent. »


Selon Pamela White, la corruption est parfois une question de mentalité. « Quand je parle de corruption en Haïti, je doute que l’on pense à la même chose que moi, estime l’ambassadeur. Je me souviens avoir été dans un ministère et quelqu’un devait me présenter sa nièce. Et elle était là à servir du café. Je lui ai demandé mais pourquoi votre nièce travaille dans votre bureau. Et il m’a dit que c’était bien. Mais c’est complètement anormal. Aux USA, c’est anormal, bien que ce ne soit pas quelque chose de méchant. Mais c’est une autre mentalité », détaille Pamela White.


La corruption, la diplomate en a aussi parlé avec l’ex-Premier ministre Laurent Lamothe. Pamela White était décue du départ du colonel Antoine Atouriste à la tête de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC). « Le colonel Atouriste m’a dit avant de partir qu’il avait des cas de corruption et qu’il était difficile de les transférer à la justice, regrette l’ambassadeur. Je crois que l’impunité est le grand problème. » « Les USA ont dépensé beaucoup d’argent dans l’ULCC. Et on a commencé à avoir des résultats quand brusquement l’institution a été débranchée par le départ de Monsieur Atouriste, déplore Pamela White. J’étais frustrée, parce qu’il y avait des cas qui n’ont pas été transférés à la justice. » Sa perception sur la classe politique haïtienne Pétillante, spontanée, Pamela Ann White a le contact facile au point de provoquer l’ire des adeptes de la vieille école, celle s'imaginant un diplomate comme la retenue fait homme. Le corset, ce n’est pas pour elle. Au terme de sa mission, comme d’autres diplomates avant elle, Pamela Ann White joue au petit jeu de la confidence bilan avec le journal. Avant de répondre à chaque question, Ann Pamela White sourit. Parfois, elle explose de rire avant d’arrêter brusquement. Sur ses rapports avec la classe politique, elle répond aux questions. Sans se départir de son sourire sonore. « J’ai parlé avec Préval, à Aristide, à tous les opposants, je les trouve chacun intelligent, intéressant, indique l’ambassadeur. Chacun a une passion pour Haïti, complètement différente peut-être, mais toujours intéressante. » Pour Pamela White, il n’y a pas un problème de compréhension, mais un problème d’accord et de désaccord. Les politiciens haïtiens éprouvent une « passion » pour le pays, mais quand il s’agit de s’entendre par exemple sur 10 points pour le faire avancer, c’est un casse-tête. « Si on pouvait réunir toutes ces intelligences et ces passionnés dans une salle et décider sur 10 choses qui sont les plus importantes pour le pays, ce serait bien, estime l’ambassadeur. Je crois que c’est possible. Mais si on reste toujours dans ces désaccords, sans trouver un moyen pour avancer ensemble, je crois que c’est une grande difficulté », ajoute la diplomate. « Les politiciens ne s’aiment pas. Ils s’accusent les uns les autres de menteurs, de passeurs de drogue, de trafiquants d’armes, etc. » 100 millions de dollars octroyés à la PNH en trois ans Évoquant la question de trafic de drogue, Pamela White souligne que son pays a beaucoup aidé Haïti en matière de sécurité. « Pendant les trois années, nous avons donné 100 millions de dollars pour la PNH (achat de matériel, entre autres), se félicite l’ambassadeur. Par exemple, pour les élections, on a donné 2.8 millions de dollars pour acheter des véhicules et du matériel de communication. La police avait besoin d’équipements pour mieux contenir la violence pendant les élections. » Aujourd’hui, l’ambassadeur trouve la police nationale plus professionnelle contrairement aux années d’avant. « La police nationale n’avait pas d’équipements, n’était pas très bien formée... Avec l’aide des Etats-Unis, la PNH devient une vraie force professionnelle », se félicite l’ambassadeur, « très satisfait » du travail des policiers pendant les élections. « J’ai travaillé pendant trois années pour les élections, malheureusement je n’étais pas là le jour du scrutin, poursuit Ann Pamela White. J’ai parlé avec quelqu’un de la MINUSTAH qui était là. Il m’a dit que la police avait fait du bon travail… La perception des gens est que la police est plus professionnelle. Nous avons dépensé beaucoup d’argent pour la police communautaire et cela marche très bien. C’est un grand succès. Maintenant on commence à travailler même avec le MENFP pour la sécurité des écoliers. » Pamela White insiste sur les supports de son pays à la police nationale. « On a beaucoup travaillé avec la BLTS (Brigade de lutte contre les stupéfiants), dit-elle au cours de l'interview menée par Frantz Duval . En deux années, on est passé à 206 agents. Ils font un travail incroyable. En 2015, ils ont intercepté beaucoup plus de drogues qu’ils n'en avaient interceptées les cinq années avant. Et c’est à cause des formations, du matériel, etc. La DEA est satisfaite du travail de la BLTS. » Et Pamela White encore plus. Et l'armée? «Haïti est un pays souverain », répond l'ambassadeur Alors que le président Michel Martelly a toujours fait part de son intention de former une armée, les États-Unis n’appuient pas une telle intention. « La position des États-Unis n’a pas changé, confie l’ambassadeur. Les USA croient qu’Haïti est un pays souverain. C’est aux Haïtiens de décider s’ils en ont besoin ou non. Mais pour nous, nous allons supporter la police comme nous l’avons fait auparavant. Après les millions de dollars que nous avons déjà dépensés dans la police, on ne va pas lui tourner le dos maintenant. » Après trois ans, Pamela White, qui « adore » Haïti, n’éprouve pas trop de regret. « J’aime beaucoup ce pays, c’est très difficile de ne pas aimer Haïti, confie l'ambassadeur. Elle a une culture intéressante. Ce pays me désole tous les jours, mais à la fin de chaque journée je me sens très contente d’avoir été ici comme ambassadeur. » Malgré tout, Pamela White va partir avec quelques frustrations. Mais elle s’est fait une idée : « On ne peut pas changer le monde en trois ans. »

Sénatoriales : le CEP invité à revoir ses calculs

Par Thomas Lalime
Source: lenouvelliste, 31 août 2015


L’hypothèse d’une erreur dans la méthode de calcul du pourcentage de votes obtenus par les candidats aux élections sénatoriales du 9 août 2015 tend à se confirmer. Le Conseil électoral provisoire (CEP) a utilisé dans son calcul le rapport entre le nombre de voix valides obtenues par chaque candidat au Sénat et le nombre total de voix valides pour le département. Le problème vient du fait que dans ce calcul, le collège électoral n’a pas introduit le bon dénominateur.


Il considère un électeur qui vote correctement pour deux sénateurs comme deux voix valides. Ce qui a pour conséquence de gonfler anormalement le dénominateur dans le calcul du pourcentage de votes obtenu par chaque candidat au Sénat et de réduire du même coup le pourcentage de votes réalisé par ces candidats.


Au lieu d’utiliser le nombre total de voix valides pour le département, le CEP aurait dû utiliser le nombre total d’électeurs dont les votes sont valides ou, ce qui revient au même, le nombre de bulletins valides aux élections sénatoriales dans chaque département géographique. C’est ce qu’a démontré le Dr Pierre Montès dans son analyse en date du 24 août 2015 (1).


Ancien diplômé de la Faculté des sciences de l’Université d’État d’Haïti, détenteur d’un doctorat en géotechnique (Ph. D.) de l’Université de Montréal, le Dr Montès a été ministre de l’Éducation nationale en Haïti. Spécialiste en géostatistique appliquée à la variabilité spatiale des propriétés géotechniques des sols, il a enseigné les probabilités et la statistique à l’École Polytechnique de Montréal.


Pour lui, la méthode utilisée par le CEP est erronée et mérite d’être corrigée. Le principe, poursuit-il, est clair : 1 électeur votant au Sénat = 1 bulletin déposé dans l’urne «Sénateur». Ainsi, précise-t-il, pour calculer le pourcentage obtenu par chaque candidat, «il faut disposer du nombre d’électeurs qui ont effectivement déposé un bulletin de vote pour les sénateurs.» Cette donnée, poursuit-il, correspond au nombre de bulletins de votes valides pour l’élection au Sénat dans chaque département.


Dans son analyse, le Dr Montès a démontré qu’avec la méthode utilisée par le CEP, il est impossible pour un candidat d’obtenir la majorité absolue de 50 % +1 [*]. De plus, il a prouvé que la méthode qu’il propose dans son analyse est la méthode exacte qui fournit le pourcentage réel de votes des candidats aux élections sénatoriales du 9 août 2015.


L’ex-conseiller électoral Léopold Berlanger, qui cumule plus de 20 ans d’expérience dans l’observation électorale et l’arbitrage des élections en Haïti et à l’étranger, partage également cette thèse. M. Berlanger affirme :«Le CEP s’est trompé par le simple fait que la base d’évaluation du pourcentage obtenu par chaque candidat doit se baser sur le nombre de votants ayant des bulletins valides et non sur un calcul cumulé de votes valides.» Il propose au CEP « de retourner au Centre de tabulation pour avoir les chiffres sur le nombre de votants ayant un bulletin valide pour chaque candidat et chaque département et de baser son calcul sur ce chiffre pour évaluer le pourcentage d'un candidat.» (2)


Plusieurs statisticiens professionnels ont appuyé ce point de vue. Harry François, détenteur d’un baccalauréat en mathématiques (options statistique) de l’Université de Montréal et une maîtrise en démographie de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) à Montréal, fait partie du groupe. M. François travaille actuellement comme statisticien à Statistique Canada, un organisme de renommée mondiale en matière de statistique. Après avoir lu mon article intitulé « Y aurait-il double comptage des votes aux sénatoriales ?» (3), publié dans l’édition du Nouvelliste du 27 août 2015, il a soumis conjointement avec le Dr Michel-Ange Pantal un texte au journal pour expliquer leur position.


Détenteur d’un doctorat en économie de l’Université de Missouri à Columbia, statisticien de formation, le Dr Pantal a travaillé au Parlement canadien avant de revenir en Haïti comme expert après le tremblement de terre. Depuis, entre autres activités, il est professeur au Centre de Techniques, de Planification et d’Économie appliquée (CTPEA), la seule école supérieure du pays ayant un département de statistique.


L’expérience de mai 2000


Le problème du calcul du pourcentage pour les candidats au Sénat n'est pas nouveau. Dans son analyse statistique des résultats préliminaires des législatives du 9 août 2015, le statisticien Samuel Émieux Jean rappelle que pour les élections de mai 2000, le CEP d’alors avait tout simplement considéré le total des quatre (4) premiers candidats comme total de votes (ou le dénominateur) pour calculer le pourcentage de votes obtenus par chaque candidat. Et comme aujourd’hui, la méthode créait une forte polémique au sein de l’opposition politique.


Alors, pourquoi un tel problème, en apparence très simple, persiste encore ? Frantz Duval, rédacteur en chef du Nouvelliste, fournit une réponse pragmatique et réaliste : « Dans cette affaire, ce ne sont pas les statisticiens qui décideront; ce n'est pas non plus le raisonnement scientifique qui aura le plus de poids. C'est déjà une affaire politique. Que de la politique. Il y a deux acteurs majeurs: les hommes politiques (société civile incluse) et le béton.»


Mais aussi longtemps que la décision finale ne sera pas scientifique, le problème demeurera intact. On avait fait un choix politique en mai 2000 en se servant du béton, on en avait vu les conséquences politiques, économiques et sociales. Aujourd’hui, le problème refait surface de plus belle.


Évidemment, il faudra plus de scientifiques qui se battent pour faire luire la lumière de la vérité scientifique sur les débats politiques en Haïti. Il leur faut enlever la carapace de la neutralité du technicien, trop souvent utilisée pour protéger un poste ou un contrat. Il faut qu’ils participent davantage à ces débats. Pas pour prendre partie pour un groupe ou un clan politique mais plutôt pour donner le mot de la science.


Conceptuellement, la méthode de calcul du CEP pour les élections sénatoriales pose un problème majeur. Il divise le nombre de votes obtenus par un candidat par un total impossible à atteindre par ce candidat. Or, le pourcentage de votes mentionné dans la Constitution amendée et le décret électoral devrait faire le rapport entre la fraction de votes obtenus par un candidat et le total de votes qu’il était possible d’obtenir par ce candidat, ce que les statisticiens appellent l’univers des possibles. Celui-ci est caractérisé par l’ensemble des citoyens qui ont déposé un bulletin valide dans l’urne des sénateurs pour reprendre les propos du Dr Montès. Comme c’est le cas dans le calcul du pourcentage obtenu par les députés.


Ainsi, si tous ces citoyens avaient voté pour un même candidat au Sénat, le nombre de votes réalisés par ce candidat et le nombre de votes réalisables seraient identiques; et ce candidat aurait obtenu 100 % des votes. De même, si tous les citoyens avaient voté pour les mêmes deux sénateurs (Jacques et Pierre par exemple), chacun d’entre eux obtiendrait 100 % des votes. Et tous les autres candidats auraient réalisé 0 % des votes. La somme des pourcentages obtenus par l’ensemble des candidats donnerait 200 % qui est la borne supérieure pour les élections sénatoriales avec deux choix possibles par électeur.


Avec la méthode utilisée par le CEP, on divise le nombre de votes obtenus par un candidat par un total impossible à atteindre. En effet, on considère chaque bulletin valide où l’électeur a choisi deux sénateurs comme deux voix valides. En divisant par le nombre de voix valides, le CEP n’est plus dans le nombre de votes réalisables. C’est pourquoi le Dr Montès a conclu qu’il est impossible avec cette méthode pour un candidat d’obtenir la majorité absolue des votes.  



Sur la somme des pourcentages


Avec le nombre d’électeurs au dénominateur, on vient de voir que la somme des pourcentages obtenus par chaque candidat au Sénat peut aller jusqu’à 200 % si chaque électeur choisit de voter pour deux sénateurs. Certains observateurs pensent, à tort, que cela pose un problème. Ils pensent que la somme des pourcentages doit nécessairement donner 100 %. Cela revient à dire que la somme des pourcentages de chacune des modalités d’une variable doit obligatoirement donner 100 %. Or, cela est vrai seulement dans le cas où les modalités de la variable en question sont mutuellement exhaustives et mutuellement exclusives.


Pour illustrer ces deux concepts, prenons le cas d’une variable qualitative où chaque réponse peut être classée dans une catégorie (modalité) particulière. Ces catégories sont mutuellement exclusives si toutes les réponses possibles doivent faire partie d'une seule catégorie, alors que des catégories mutuellement exhaustives signifient que celles-ci doivent tenir compte de toutes les réponses possibles.


Exemple : si l’on considère une variable comme la performance des candidats à la députation aux législatives du 9 août. On peut définir les modalités suivantes : excellent (élu au premier tour), très bon (qualifié pour le second tour en terminant premier), bon (qualifié pour le second tour en terminant deuxième), mauvais (éliminé au premier tour avec plus de 10 % des votes) et très mauvais (éliminé au premier tour avec moins de 10 % des votes, abandon et autre).


Chaque candidat à la députation sera classé dans une catégorie et une seule et toutes les catégories sont envisagées. La somme des pourcentages de toutes les catégories va donner 100 %. Mais si un candidat pouvait se retrouver dans deux catégories en même temps (si les catégories ne sont pas mutuellement exclusives), la somme des pourcentages ne donnera pas nécessairement 100 %.


Dans le cas des votes aux sénatoriales, la somme des pourcentages obtenus par chaque candidat ne donnera pas 100 % parce que chaque électeur avait deux choix possibles. Ce n’est nullement un problème. Au contraire, si cette somme donne 100 %, c’est une preuve additionnelle que la méthode de calcul du CEP n’est pas valide.

Il faut espérer que ce problème sera corrigé une fois pour toutes par ce CEP et dans les prochaines lois électorales.



(1) http://jfjpm-maths.blogspot.ca/2015/08/comment-convertir-en-pourcentage-le.html


(2) http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/149146/Y-aurait-il-double-comptage-des-votes-aux-senatoriales


(3) http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/149180/Senatoriales-le-CEP-sest-trompe-de-methode-de-calcul-selon-Leopold-Berlanger

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[*] NDCDP-Politique.- Dans une mise à jour de (1), il est précisé qu'il est difficile de gagner à la majorité absolue par la méthode de calcul du CEP. Dans une seconde analyse [**], il est indiqué l'ensemble des cas où il est possible pour un candidat de gagner au premier tour à la majorité absolue par la méthode de calcul du CEP. [**] http://jfjpm-politique.blogspot.ca/2015/09/haiti-elections-senatoriales-du-9-aout.html

Sénatoriales : le CEP s’est trompé de méthode de calcul, selon Léopold Berlanger

Par Roberson Alphonse
Source: lenouvelliste, 27 août 2015


Le CEP s’est “trompé” par rapport à la méthode utilisée pour calculer les résultats de l’élection sénatoriale du 9 août 2015, a estimé Léopold Berlanger, sociologue, ex-conseiller électoral et expert ayant accumulé plus de deux décennies d’expérience dans l’observation, l’arbitrage d’élections en Haïti et à l’étranger.«Le CEP s’est trompé par le simple fait que la base d’évaluation du pourcentage obtenu par chaque candidat doit se baser sur le nombre de votants ayant des bulletins valides et non sur un calcul cumulé de votes valides », a-t-il dit, soulignant que « l’électeur a voté pour deux candidats au Sénat par département dans un même bulletin».

« Le mode de calcul du CEP est préjudiciable à tous les candidats au Sénat par le fait qu’il attribue un score plus faible que le score réel obtenu », a indiqué Léopold Berlanger. C’est un fait à considérer pour voir s’il n’y a pas de score qui aurait atteint la majorité absolue ou l’écart de 25 % entre deux candidats. Néanmoins, un score de 50 + 1 ou l’écart de 25 % obtenu sur la base des résultats préliminaires n’implique nullement que le CEP puisse proclamer ce candidat vainqueur au premier tour avant le traitement des contestations, les décisions finales des différentes instances et l’analyse eu égard aux problèmes rencontrés le jour du scrutin », a expliqué Berlanger, qui met le doigt sur un aspect à expliciter la prochaine fois.

« La Constitution et le décret électoral sont clairs sur le principe du calcul de la majorité absolue. Toutefois, les détails arithmétiques sur cette méthode ne figurent pas dans ces textes. Le calcul de score en matière de majorité absolue, de majorité relative, de majorité proportionnelle fait l’objet d’une doctrine et d’une jurisprudence bien connue en matière électorale à travers le monde. Cette doctrine se fonde sur la recherche d’une légitimité populaire de l’élu en référence aux nombres de citoyens ayant participé au vote », a dit Léopold Berlanger qui croit, à un moment où certains craignent l’incidence négative de l’usage d’une méthode erronée sur le reste du processus électoral, « que les acteurs concernés doivent s’entendre pour l’application de la solution appropriée ». « D’autant plus, a-t-il poursuivi, qu’il n’est pas trop tard pour que les corrections soient apportées aux résultats préliminaires pour l'élection sénatoriale. »


« Je propose au CEP de retourner au Centre de tabulation pour avoir les chiffres sur le nombre de votants ayant un bulletin valide pour chaque candidat et chaque département et de baser son calcul sur ce chiffre pour évaluer le pourcentage d'un candidat », a dit Léopold Berlanger qui rappelle que c’est une affaire de comptage du pourcentage de votes lors des élections du 21 mai 2000 qui est à la base des déboires du régime de l’ex-président Jean-Bertrand Aristide.


Selon les résultats publiés pour l'élection sénatoriale, aucun candidat n’a été élu au premier tour. Certains, comme Me Jean Renel Sénatus « Zokiki », candidat au Sénat de l’Ouest, ont contesté la méthode de comptage du CEP. Ce n’est pas de l’arithmétique mais de la magie, a-t-il dit.

mardi 8 septembre 2015

Haiti / Élections sénatoriales du 9 août 2015 / Comparaison de la méthode de calcul du CEP et de la méthode de calcul de Montès. (Analyse et Synthèse)

Par Dr. Pierre Montès

Ce travail résume une analyse de la méthode de calcul utilisée par le CEP pour déterminer le pourcentage obtenu par chaque candidat au Sénat. 
On a montré que cette méthode est incorrecte parce qu'elle utilise au dénominateur la somme des voix obtenues par les candidats en lice au lieu d'utiliser la somme des votants, étant donné qu'un votant pouvait voter en donnant 2 voix au maximum (une voix à chacun des deux candidats de son choix). 
On propose la méthode exacte de calcul du pourcentage (Méthode de Montès) dans laquelle le bon dénominateur est introduit (le nombre total de votants ou de bulletins valides dans le département) . 
On compare la méthode de calcul du CEP et la méthode de calcul de Montès. 
On compare également la règle de la majorité absolue utilisée par le CEP et la règle de la majorité absolue proposée dans la méthode de Montès.
On termine  avec un dernier tableau montrant les pourcentages des 4 candidats au Sénat qui arrivent en tête dans chaque département [1].

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[1] Comme le nombre total de votants (ou bulletins de vote valides) n'est pas disponible par département pour les élections sénatoriales, on a approximé cette valeur par le nombre total de votants pour les députés dans le département qui, lui, est disponible. L'électeur (le votant) en entrant au bureau de vote, reçoit deux bulletins en même temps: un pour le choix d'un député, l'autre pour le choix d'un maximum de 2 sénateurs (0, 1 ou 2).On est en droit de faire l'hypothèse de travail selon laquelle l'électeur dépose chacun des bulletins dûment remplis dans leur urne respective. L'erreur commise dans cette approximation est jugée faible, jusqu'à preuve du contraire. La détermination de la vraie valeur du nombre de bulletins de vote pour les deux Sénateurs de chaque département nécessiterait que l'on réanalyse chacun des 13 725 procès-verbaux du vote pour les Sénateurs pour y lire le nombre de votants (bulletins valides) et en faire le total pour chaque département. Pour quelques procès-verbaux que j'ai consultés, l'égalité des deux nombres semble se confirmer, mais il aurait fallu que le CEP fasse vérifier sur un échantillon représentatif des procès-verbaux dans chacun des 10 départements si se confirme cette l'égalité (statistiquement parlant) entre les deux nombres. 
     


1.- L'analogie entre l'opération choix de cours dans une petite école et les élections sénatoriales du 9 août 2015.-

Pour simplifier, on considère une école de 100 étudiants (N=100) où 4 cours différents sont offerts aux étudiants avec la possibilité pour chaque étudiant de choisir un maximum de 2 cours où, dans certaines conditions d'aller plutôt en stage hors de l'école.
Toujours pour simplifier, on considère un département où 100 électeurs (votants) déposent 100 bulletins valides dans l'urne Sénateur (N=100). On considère qu'il y a 4 candidats au Sénat et qu'il faut élire 2 sénateurs. L'électeur peut sur son bulletin de vote voter de l'une des trois manières suivantes pour que son vote soit valide:
1) le votant donne 1 voix à deux des candidats au Sénat en lice en cochant la case sous leur photo;
2) le votant donne 1 voix à un seul candidat au Sénat en cochant la case sous son nom; il ne fait aucun autre choix sur le bulletin;
3)  le votant donne 1 voix à un seul candidat fictif appelé "Aucun candidat" ou "Oken Kandida" (None Of The Above  ou "NOTA" en anglais) en cochant dans la case sous appropriée et il ne fait aucun autre choix sur le bulletin.

L'analogie est la suivante:
a) les 100 étudiants de l'école correspondent aux 100 électeurs du département;
b) les 4 professeurs  de l'école correspondent aux 4 candidats de l'élection sénatoriale dans le département;
c) le stage hors de l'école correspond à NOTA (Aucun candidat) dans l'élection sénatoriale;
d) le formulaire de choix de cours dans l'école correspond au bulletin de vote dans l'élection;
e) la date l'opération choix de cours dans l'école correspond à la date de la tenue du scrutin dans le département.





Tableau de l'opération choix de cours et calcul des pourcentages exacts d'étudiants dans chaque cours par rapport au nombre d'élèves dans l'école. Calcul des mêmes pourcentages par la méthode de Montès (méthode exacte) et par la méthode du CEP (erronée).





2.- Tableau des résultats d'une élection fictive dans un département.- 

1) Cas d'un département où N=100, le nombre de candidat au Sénat est 4 et T = 181.

1a) Tableau de calcul pour chaque candidat a) du pourcentage exact du nombre de votants ayant voté pour lui par rapport au nombre total de votants dans le département (méthode de Montès); b) du pourcentage du nombre de voix en sa faveur par rapport au nombre total de voix (méthode du CEP, erronée);  et c) du pourcentage CEP multiplié par 2 (méthode de Youri, incorrecte car T < 2N).





1b) Généralisation et illustration de tous les résultats possibles dans le cas où  il y a 4 candidats au Sénat avec N = 100 bulletins valides  et T = 181 voix valides.


2) Cas d'un département où N=100, le nombre de candidat au Sénat est 4 et T = 200.

2a) Tableau de calcul pour chaque candidat a) du pourcentage exact du nombre de votants ayant voté pour lui par rapport au nombre total de votants dans le département (méthode de Montès); b) du pourcentage du nombre de voix en sa faveur par rapport au nombre total de voix (méthode du CEP, erronée);  et c) du pourcentage CEP multiplié par 2 (méthode de Youri, correcte car T = 2N).




2b) Généralisation et illustration de tous les résultats possibles dans le cas où  il y a 4 candidats au Sénat avec N = 100 bulletins valides  et T = 200 voix valides.



3) Cas d'un département où N=100, le nombre de candidat au Sénat est 4 et T = 200.

3a) Tableau de calcul pour chaque candidat a) du pourcentage exact du nombre de votants ayant voté pour lui par rapport au nombre total de votants dans le département (méthode de Montès); b) du pourcentage du nombre de voix en sa faveur par rapport au nombre total de voix (méthode du CEP, erronée);  et c) du pourcentage CEP multiplié par 2 (méthode de Youri, correcte car T = 2N).


3b) Généralisation et illustration de tous les résultats possibles dans le cas où  il y a 4 candidats au Sénat avec N = 100 bulletins valides  et T = 200 voix valides.


4) Cas d'un département où N=100, le nombre de candidat au Sénat est 4 et T = 133.

4a) Tableau de calcul pour chaque candidat a) du pourcentage exact du nombre de votants ayant voté pour lui par rapport au nombre total de votants dans le département (méthode de Montès); b) du pourcentage du nombre de voix en sa faveur par rapport au nombre total de voix (méthode du CEP, erronée);  et c) du pourcentage CEP multiplié par 2 (méthode de Youri) (incorrecte car T < 2N).


4b) Généralisation et illustration de tous les résultats possibles dans le cas où  il y a 4 candidats au Sénat avec N = 100 bulletins valides  et T = 133 voix valides.



5) Cas d'un département où N=100, le nombre de candidat au Sénat est 4 et T = 200.

5a) Tableau de calcul pour chaque candidat a) du pourcentage exact du nombre de votants ayant voté pour lui par rapport au nombre total de votants dans le département (méthode de Montès); b) du pourcentage du nombre de voix en sa faveur par rapport au nombre total de voix (méthode du CEP, erronée);  et c) du pourcentage CEP multiplié par 2 (méthode de Youri) (correcte car T = 2N).
5b) Généralisation et illustration de tous les résultats possibles dans le cas où  il y a 4 candidats au Sénat avec N = 100 bulletins valides  et T = 200 voix valides.


3.- Comparaison des règles de majorité absolue au premier tour par la méthode de calcul du CEP et la méthode de calcul de Montès .-


a) On exprime la relation (A/N) = (A/T) * (T/N) sous la forme:

A/T = f (A/N, T/N) = (A/N) / (T/N)

Pour une valeur fixée de A/T (A/T = k1 , k1 pris entre 0 et 100% ), on trace la droite
T/N = (1/k1) * (A/N)

C'est la droite iso-valeur k1 =A/T.

On répète l'opération pour d'autres valeurs k2, ..., kn de A/T.

La figure suivante illustre le résultat obtenu.

Sur cette figure, on illustre la règle de la majorité selon les deux méthodes de calcul: CEP et Montès.
On y voit clairement que la règle de la majorité absolue dans la méthode de Montès est non biaisée, tandis que celle de la méthode du CEP est biasée. Cette dernière rend plus difficile la possibilité pour un candidat d'avoir la majorité absolue.






b) On utilise la relation (A/N) = (A/T) * (T/N) telle quelle:

A/N = f (A/T, T/N) = (A/T)* (T/N)

Pour une valeur fixée de A/N (A/N = p1 , p1 pris entre 0 et 100% ), on trace l'hyperbole

T/N = (p1) / (A/T)

C'est la ligne iso-valeur p1 = A/N.

On répète l'opération pour d'autres valeurs p2, ..., pn de A/N.

La figure suivante illustre le résultat obtenu.

Sur cette figure, on illustre la règle de la majorité selon les deux méthodes de calcul: CEP et Montès.
On y voit clairement que la règle de la majorité absolue dans la méthode du CEP définit implicitement une région assez importante du plan (A/N, T/N) qui soit inaccessible pour candidats au premier tour, quel que soit le résultat qu'il obtient aux élections: pour un T/N donné (pour une élection donnée), le pourcentage maximal (A/T) qu'un candidat puisse atteindre est inférieur à 100% selon la méthode du CEP. Nous l'avions mentionné à plusieurs reprise dans nos analyses antérieures, mais ce graphique montre clairement l'ampleur de ce biais inhérent à la méthode de calcul du CEP.
La méthode de Montès est dépourvue de biais.





c) On utilise la relation (A/N) = (A/T) * (T/N) sous la forme suivante:

A/T = f (A/N, T/N) = (T/N)* (A/N)

Pour une valeur fixée de T/N (T/N = m1 , m1 pris entre 1 et 2), on trace la droite

A/T = (m1) * (A/N)

C'est la droite iso-valeur m1 = T/N.

On répète l'opération pour d'autres valeurs p2, ..., pn de T/N.

La figure suivante illustre le résultat obtenu.

Sur cette figure, on illustre la règle de la majorité selon les deux méthodes de calcul: CEP et Montès.
On y voit clairement que la règle de la majorité absolue dans la méthode du CEP ne permet pas aux candidats dont le couple (A/N, A/T) est situé au 4e quadrant centré au point P d'avoir la majorité absolue alors que la méthode de Montès le permet (région de forme triangulaire CPM. La méthode du CEP réduit donc de manière significative le domaine dans lequel le candidat peut gagner à la majorité absolue.


Les trois figures précédentes qui illustrent à leur manière la même relation entre (A/N), (A/T) et (T/N) ont clairement mis en évidence les défauts de la méthode du CEP et les vertus de la méthode de Montès.






4.- Application de la méthode du CEP et de la méthode de Montès aux données réelles ddu premier tour des sénatoriales de 2015 dans les 10 départements du pays.
    
Ce travail a été fait dans la première analyse produite sur le sujet (24 août 2015).
Pour appliquer la méthode exacte, il aurait fallu connaître le nombre de bulletins valides dans chaque département pour l'élection des sénateurs. Les éléments qui auraient permis de trouver cette donnée sont disponibles dans les procès-verbaux de chaque bureau de vote; mais ces éléments n'ont pas été additionnés pour obtenir le total pour chaque département. Donc cette donnée n'est pas immédiatement disponible au Centre de Tabulation des Voix.

On a donc été amené à faire l'hypothèse que l'électeur qui a déposé un bulletin de vote pour dans l'urne "Député" a aussi déposé au même moment un bulletin de vote dans l'urne "Sénateur" (hypothèse de travail raisonnable). On a donc considéré que le nombre de bulletins comptés  pour les députés dans un département est à peu près égal au nombre de bulletins qu'on aurait comptés pour les sénateurs du même département. (Voir colonne de chiffres en rouge au tableau suivant). On admet que l'erreur commise dans cette approximation soit faible.

Le tableau suivant montre les pourcentages (A/T) et (A/N) obtenus par les 4 candidats au Sénat qui arrivent en tête dans chaque département. Les résultats calculés par la méthode du CEP sous-estiment les vraies valeurs des pourcentages des candidats, tandis ceux calculés par la méthode de Montès, qui auraient dû être exacts, si les bulletins avaient été effectivement comptés, ne devraient pas être aussi éloignés des vraies valeurs des pourcentages comme le sont les résultats du CEP.

Pour les données de l'élections sénatoriales du 9 août 2015 et sous l'hypothèse de travail utilisée, il n'y a pas de candidats au Sénat à avoir un pourcentage supérieur au seuil de 50%  par la méthode de Montès. Cependant le candidat Youri Latortue serait le seul à satisfaire à la règle du 25% d'avance sur son plus proche concurrent.