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dimanche 18 juillet 2010

Haïti a besoin d'un «boss»

Source: cyberpresse.ca
Publié le 14 juillet 2010 à 00h00 Mis à jour le 14 juillet 2010 à 00h00
Par Patrick Lagacé

Quand j'ai déposé l'héritier à la garderie, cette semaine, un éducateur de ma connaissance m'a interpellé. Comment se fait-il qu'Haïti, voulait-il savoir, six mois après le séisme, malgré un déluge d'aide internationale, ait si peu avancé ?

Bonne question, Donald. Tu n'es pas le seul à me l'avoir posée.

Voici ma réponse standard, officielle?: ce n'est pas qu'une question d'argent.

Disons que le fric que vous avez envoyé en Haïti permet d'acheter demain matin 1000 bulldozers pour charrier les débris qui jonchent encore Port-au-Prince. Disons.


Eh bien, malgré ce déluge d'argent, les rues ne seront pas, comme par magie, plus larges. Il n'y aura pas moins de bouchons dans cette capitale trop petite pour son parc automobile. Je doute qu'on puisse trouver demain matin 1000 chauffeurs qualifiés pour les conduire, ces bulldozers. On ne trouvera pas des pièces plus facilement, malgré tout ce fric, quand ils briseront.

Bref, plus que de fric, plus que de bulldozers, plus que d'étudiants américains qui viennent y construire des écoles, plus que d'évangélistes albertains qui adoptent des enfants, Haïti a besoin d'organisation.

On y trouve des tas d'acteurs de bonne foi - ONU, ONG, pays étrangers, coopérants, les Haïtiens eux-mêmes.

Mais le manque de leadership pour fédérer tout ce beau monde est aussi douloureux pour la population haïtienne qu'une journée sans manger peut l'être pour une maman qui campe depuis six mois sur le Champ-de-Mars.

Il n'y a, pour ainsi dire, personne qui commande. L'ONU fait semblant de ne pas être le maître d'oeuvre de la reconstruction, afin de ménager le gouvernement haïtien. Et le gouvernement haïtien fait ce qu'il fait le mieux?: il joue à l'homme invisible.

La reconstruction n'est pas qu'une affaire de brique et de mortier. Prenez Médecins sans frontières. Avant le séisme, MSF avait quatre points de service à Port-au-Prince. Après, grâce à la générosité de ses donateurs?? Dix-neuf.

C'est 15 de plus qu'avant le 12 janvier. C'est énorme. C'est positif.

C'est un des bénéfices inattendus du séisme?: un afflux de fric qui a permis à des ONG d'étendre leur offre de services sur le terrain.

Il y a aussi, au-delà des édifices terrassés qui gisent encore par centaines, recroquevillés sur eux-mêmes, attendant d'être détruits, une part d'intangible. Je parle de ce vent nouveau qui souffle sur Haïti.

Joseph Hillel est né en Haïti, il a grandi à Montréal. Après le séisme, il est retourné dans le pays de ses parents pour aider. Il a travaillé pour l'ONU et le CECI, notamment. Cet élan intangible, il me le décrit ainsi?: «Je perçois clairement une mobilisation. J'ai rencontré des gens de partout, volontaires bénévoles comme pros de l'humanitaire, dévoués, inspirés, positifs. Le séisme offre une occasion exceptionnelle de reconstruction. J'ai très bon espoir.»

Joseph n'est pas le seul à m'avoir décrit cet élan qui secoue le pays.

Il reste que retourner à Port-au-Prince 6 mois après bagay la, qui a fait plus de 200 000 morts, est un test très dur pour l'optimisme de l'homme de bonne volonté.

Je sais que ce n'est pas qu'une question d'argent, je vous l'ai dit plus haut. Il y a aussi l'organisation. Mais comment organiser Haïti??

Je vais oser?: une tutelle étrangère.

Quand on parle de la reconstruction d'Haïti, on oublie à quel point Haïti a été saigné par l'Histoire, défavorisé par la géographie et violé par ses dictateurs*. On oublie à quel point tout est à faire et à refaire.

En conséquence, Haïti, en 2010, n'a pas les outils pour se sortir du marasme. Son État est émasculé. Ses gouvernants n'ont pas la confiance du peuple. Sa population est analphabète en majorité. Sa fonction publique est rongée par la corruption.

Quant à la communauté internationale, c'est aussi la pagaille. Personne ne décide. Ni l'ONU ni personne. On «suggère», on «propose», certes. Mais si vous êtes patron d'une ONG qui fournit des latrines aux pauvres sinistrés, vous n'avez de compte à rendre à personne. Vous pouvez installer vos latrines où bon vous semble.

C'est ce qui explique que certains camps de sinistrés possèdent des latrines et d'autres pas. Idem pour des citernes d'eau potable.

Traduction?: il n'y a pas de boss, en Haïti. C'est un problème tragique.

L'idée (controversée) à la mode, en aide internationale, ces jours-ci, est celle de l'économiste Paul Romer?: des villes à charte. Romer propose de créer, dans des pays pauvres, des villes gérées par des pays étrangers, afin d'en stimuler le développement.

C'est de cette idée de villes à charte que je m'inspire quand j'évoque l'idée de nommer un pays responsable de relancer Haïti. Un patron, quoi.

Un autre ami, Jean-François Labadie, assistant technique à l'Université de Montréal, qui travaille au Projet d'appui au renforcement des capacités en gestion de la santé en Haïti, a évoqué sur son blogue* cette idée d'une forme de tutelle, qui circule aux États-Unis.

«Un programme sur une période assez longue pour permettre de scolariser quelques générations d'Haïtiens, imagine Labadie, de remettre en place des infrastructures politiques et économiques nécessaires au développement du pays. Et surtout, un vrai plan de sortie où, ministère par ministère, l'État Haïtien reprend pleinement le contrôle.»

Pendant ces 20, 25 ou 30 ans, le pays qui a la tutelle - Canada, Brésil, Suisse, qu'importe - aurait la tâche titanesque d'administrer l'aide internationale pour remettre Haïti sur les rails. D'être le patron. En attendant que les Haïtiens puissent l'être.

Je sais que c'est une idée choquante. Néocolonialiste, même. Mais les efforts de reconstruction, six mois après le séisme, recourent aux mêmes vieilles recettes de développement international qui n'ont jamais réussi à sortir Haïti du marasme.

La différence, c'est que, depuis le séisme, il y a plus de fric et plus d'optimisme.

Mais ce ne sera pas suffisant, malheureusement.
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NDCDP-Politique.- Et si l'on laissait Haïti choisir elle-même SON «boss», fonctionner un peu comme dans les West Indies anglophones, et coopérer librement avec ses voisins incluant Cuba, le Venezuela et bien sûr les Etats-Unis ?
Notes additionnelles du CDP-Politique:
1) À propos de Paul Romer, on peut consulter:
en français: wikipédia/Paul Romer.
2) Le blog de Jean-François Labadie, "Pour ne pas oublier...":

mardi 19 janvier 2010

"Haïti souffre d'une très grave absence de leadership", Michèle Pierre-Louis

Par Vincent Hugeux, publié le 19/01/2010 à 14:45 - mis à jour le 19/01/2010 à 16:39
Source: lexpress.fr

Premier ministre entre septembre 2008 et octobre 2009, Michèle Pierre-Louis fustige les carences de l'Etat haïtien. Au-delà de la mort et de la tragédie, le tremblement de terre pourrait-il constituer un électrochoc salutaire?

En quoi les carences de l'Etat haïtien amplifient-elles l'impact du séisme?

La faiblesse de l'Etat précède ce malheur. Pour avoir été chef du gouvernement juste après une série de cyclones, j'en sais quelque chose. Quand un pays est quasiment dépourvu d'institutions, il éprouve les pires difficultés à faire face à un désastre de cette ampleur. La volonté existe; pas les structures permettant d'y répondre de façon rigoureuse et responsable. En détruisant les lieux d'exercice du pouvoir – la présidence, le Parlement, les ministères – le tremblement de terre aura aggravé le phénomène.

Il est évident que l'on paie aussi cinquante ans de non-gestion ou de mauvaise gestion. La crise de la paysannerie a provoqué la prolifération des bidonvilles. On en recense 38 autour de Port-au-Prince. L'Etat étant le premier propriétaire terrien de ce pays, les gens squattent les plaines et colonisent les montagnes.

Quel est, au sommet de l'Etat, le manquement n°1?

L'absence de décision. Quand René Préval tourne en rond, se demande en réunion que faire, il faut que quelqu'un lui rappelle que le président, c'est lui. L'absence de leadership est très grave. Dans l'immédiat, nous pleurons nos morts, le plus dignement possible, mais il faut se ressaisir. Deux phases suivent ce genre de drame. On doit d'abord répondre aux besoins des survivants. Puis s'attaquer à la reconstruction. Laquelle exigera des moyens pharaoniques.

Une mise sous tutelle d'Haïti est-elle nécessaire? Si oui, sous quelle forme?

A l'image de mes compatriotes, je n'aime pas le mot tutelle. Mais soyons pragmatiques. Il faut qu'une entité assure une prise en charge. On ne pourra pas s'en sortir tout seuls. Le pays était déjà extrêmement dépendant. Quand nos trois piliers financiers, la Direction générale des impôts, le ministère des Finances et les Douanes sont par terre, cela signifie que 65 000 fonctionnaires ne recevront pas leur traitement et que deux sources majeures de recettes budgétaires disparaissent: le fisc et les taxes douanières sur l'essence importée, soit 18% de nos ressources.

Confier les rênes à l'ONU? Non. Sa mission ici, la Minustah, a été décapitée et n'est plus fonctionnelle. De plus, il y a 9000 soldats de la paix ici, dans un pays qui n'est pas en guerre; et on ne voit pas bien ce qu'ils ont apporté. On pourrait imaginer plutôt un consortium américano-canadien. Et si la France ou l'Union européenne veulent s'y mettre, très bien.

Au regard des blessures léguées par l'Histoire, comment les Haïtiens toléreront-ils le rôle moteur dévolu aux Etats-Unis?

Lorsque, en 1994, [le président en exil] Jean-Bertrand Aristide revient à Port-au-Prince dans le sillage de 25 000 marines, c'est très dur pour nous, Haïtiens. Les Américains qui viennent ici ne comprennent pas nécessairement le pays. Mais, dans le malheur qui nous frappe, il faut avant tout sauver des vies, puis reconstruire autrement. Vous trouverez toujours des groupes de la gauche haïtienne enclins à adopter une posture nationaliste.

Certaines blessures n'ont jamais vraiment cicatrisé. Notamment l'ostracisme des Etats-Unis envers nous au xixe siècle. On n'oublie pas que Washington n'a reconnu Haïti que soixante ans après son indépendance. Il y a eu ensuite l'occupation américaine du début du siècle dernier, puis le retour d'Aristide avec ces gens-là, lesquels ont ensuite évincé le même Aristide. Comme si nous n'étions pas capables de prendre notre destin en main. Mais peut-être, au fond, ne le sommes-nous pas...

La pire des choses serait pour les étrangers de débarquer avec leurs gros sabots et la certitude d'avoir tout compris parce qu'ils détiennent les moyens. S'il y a des Haïtiens qualifiés, compétents, il faut les consulter pour décider quoi faire, où et comment.

Craignez-vous, dans les secteurs de Cité-Soleil, Bel-Air ou Martissant, le retour en force des gangs démantelés en 2007?

Ça a déjà un peu commencé. Non que les bandes reviennent en tant que telles. Mais certains individus ont repris du service. Face à ce péril, la population se montrera très vigilante. Elle est prête à se défendre.

La classe politique haïtienne saura-t-elle cette fois se montrer à la hauteur des enjeux?

Pour elle aussi, il y a un avant-12 janvier et un après-12 janvier. On n'est plus dans les petites intrigues de pouvoir. Si l'on ne prend pas conscience qu'il est urgent de dépasser les mesquineries politiciennes, les ridicules histoires de clans et les querelles intestines stériles, c'est désespérant. A ce stade, il ne faut pas compter sur les partis, mais sur les individus. Voilà pourquoi j'essaie de réunir quelques-uns de mes anciens ministres. Voilà pourquoi nous faisons livrer ici des réserves d'eau, pour la filtrer et la distribuer dans les quartiers défavorisés.

Aujourd'hui exilé en Afrique du Sud, Jean-Bertrand Aristide peut-il tirer profit du désarroi créé par le séisme?

A la fin de l'année dernière, il a fait deux déclarations. Sous forme de parabole, Aristide invitait les gens à prendre la rue, pour riposter à la mise à l'écart de son parti, Lavalas, dans la perspective des élections prochaines. Eh bien, ça n'a pas marché. Même les membres de sa mouvance admettent que l'audience du leader s'est beaucoup affaiblie. Peut-il resurgir dans une telle situation? Dès lors qu'il joue sur le registre émotionnel et culturel, nul ne le sait. Mais je n'y crois pas.

Sénatoriales, législatives, locales, présidentielle: 2010 devait être une année électorale. Quand les Haïtiens pourront-ils voter?

Il serait absurde de prétendre tenir les scrutins aux échéances prévues. D'ailleurs, les gens nous le disent: pas question d'élections. Mais ils disent aussi que le pouvoir doit changer...

La tragédie du 12 janvier peut-elle administrer au pays un électrochoc salutaire?

Absolument. Je ne peux imaginer que c'est foutu. Au-delà de la mort et de la tragédie, il faut saisir cette opportunité.