vendredi 21 mars 2014

Haïti-Politique/ L'Accord d'El Rancho signé le 14 mars 2014 [*]

Pétion-Ville, le 14 mars 2014

"ACCORD D’EL RANCHO"

Vu la Constitution haïtienne;

Vu la Déclaration Universelle des droits de l'homme;

Vu la loi électorale du 27 Novembre 2013, publiée le 10 Décembre 2013;

Vu la loi portant formation, fonctionnement et financement des Partis politiques publié le 16 janvier 2014 ;

Vu le Protocole de Médiation adopté à l'Hôtel Karibe Convention Center le 22 janvier 2014 et signé à l'hôtel El Rancho le 24 janvier 2014 par la Médiatrice et les trois Parties à savoir : l’Exécutif, le Parlement, les Partis Politiques;

Considérant qu'au regard de la situation politique du pays, la Conférence des Évêques d'Haïti (CEH), dans sa note pastorale du 27 Septembre 2013, a proposé ses bons offices pour aider les acteurs politiques et ceux des Pouvoirs de l'État à dialoguer;

Considérant que cette proposition a été favorablement accueillie par le Président de la République ;

Considérant qu'après consultation, les trois Parties susdites ont accepté la médiation de la Conférence des Évêques d'Haïti;

Considérant que le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), les structures organisées de la Société civile : le secteur syndical, la Fédération des Barreaux d'Haïti, les associations de médias, les Organisations de la société civile ont été invités aux assises à titre d’observateurs;

Considérant que les Parties se sont concertées dans les assises des trois phases du dialogue politique et institutionnel afin de parvenir à un accord politique sur la Gouvernance, l'organisation d'élections crédibles et l'amendement de la Constitution;

Considérant que ce présent accord est une contribution importante en vue du dialogue national prôné par plus d’un et prévu dans le protocole de médiation;

Considérant qu'il y a lieu de clôturer les assises du dialogue de "EL RANCHO" par un accord politique obtenu librement et de bonne foi; un accord au bas duquel sont apposées les signatures respectives:
  • du Président de la République pour l’Exécutif;
  • du Président du Sénat de la République et du Président de la Chambre des Députés, les deux pour le Parlement ;
  • des Mandataires des Partis politiques pour les Partis Politiques;
  • de la Médiatrice;

LES PARTIES ONT CONVENU DE CE QUI SUIT :

I. DE LA GOUVERNANCE

Article 1 : Conduite de l’action gouvernementale

   Les Parties s'accordent sur la mise en place d'un Gouvernement d'ouverture capable d'inspirer confiance et de créer les conditions nécessaires pour réaliser des élections libres, honnêtes et démocratiques.
   Dans un délai ne dépassant pas dix (10) jours ouvrables à dater de la signature de l’accord, l'Exécutif intégrera dans l'appareil gouvernemental des personnalités inspirant confiance venant des partis politiques intéressés.


Article 2 : Séparation des Pouvoirs

   Les Parties s’engagent à respecter le principe constitutionnel de la séparation des Pouvoirs. Elles s'accordent sur :
a.   Le respect de l'indépendance des pouvoirs.
b.   Le respect de l’indépendance des Institutions.
c.   Le respect de l’indépendance des juridictions.
d.   La résolution sans délai de la question de la publication de la liste des Membres de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) élus par le Sénat de la République.
e.   La publication de toutes les lois votées par le Parlement, une fois écoulé le délai d’exercice du droit d’objection du Président de la République ainsi que celle de toutes les résolutions prises par le Grand Corps en application des articles 122 et 125 de la Constitution.
f.   Le vote des projets de loi jugés prioritaires par l’Exécutif et déposés au Parlement.

Pour la mise en œuvre des dispositions de l’article 2. d, le Pouvoir Exécutif s'accorde un délai ne dépassant pas dix (10) jours ouvrables à compter de la date de la signature de l’accord.


Article 3 : Garanties judiciaires et institutionnelles

   En vue d'œuvrer au respect des garanties judiciaires, les Partis Politiques s’accordent sur l’opportunité de demander au Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), dans le cadre de son pouvoir général d’information, de "s’enquérir de l’état d’avancement du dossier des frères Florestal", conformément à l'article 36 de la loi portant création dudit Conseil.

    Aussi, les Parties demandent fermement que les pouvoirs compétents activent le processus de résolution du problème de la détention préventive prolongée. A cet effet, la Commission de Suivi du présent accord écrira au Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique et lui demandera d’adopter telles mesures que de droit.

    Les Parties demandent l’analyse objective de la résolution relative aux trois (3) Juges contestés à la Cour de Cassation.

    En outre, dans l'optique d'une saine distribution de la justice, les Parties s'accordent sur la régularisation du cadre institutionnel du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire. A ce titre, les Parties conviennent de la mise en place d’une Commission tripartite de techniciens tirés du Parlement, de l’Exécutif et des Partis Politiques qui se penchera sur la révision de la loi portant sur le fonctionnement du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) ainsi que sur la question de la détention préventive prolongée et de l’évaluation du personnel judiciaire national.


Article 4 : Respect du cycle des mandats

   Les Parties s'accordent sur l'organisation d'élections libres, transparentes, honnêtes et démocratiques, ce, avant la fin de l’année 2014 préférablement le dimanche 26 octobre au plus tard pour la tenue du premier tour.

   Les Pouvoirs Exécutif et Législatif ainsi que le Conseil Electoral Provisoire se chargeront de la mise en œuvre de la présente disposition.


Article 5 : Décentralisation

   En vue d'une décentralisation effective caractérisée par "le transfert de pouvoir et de compétences du niveau de l'Administration centrale aux collectivités territoriales", les Parties au présent instrument s'accordent sur :

a.   Une mise à jour du document intitulé « Le cadre de la politique nationale d’aménagement du territoire » et l'application des recommandations contenues dans ce document.

b.   Un projet de loi "portant sur l’aménagement du territoire et le développement local" à déposer au Parlement.

c.   La tenue d'Élections locales et indirectes. A traiter au niveau de l’organisme électoral.

d.   Le vote de la loi pour la mise en place et le fonctionnement des Collectivités Territoriales.

e.   La création d’un institut d’accompagnement des Collectivités Territoriales en vue de la mise en place de l’Administration publique communale et de celle de la section communale.

   Les Pouvoirs Exécutif et Législatif se chargent de la mise en œuvre des points a, b, e de cet article. L’organisme électoral se charge de la mise en œuvre du point (c). Le Pouvoir Législatif en Assemblée séparée se charge de la mise en œuvre du point d. A cet effet, des pourparlers interinstitutionnels sont prévus.

Article 6 : Indépendance et souveraineté nationales

   Sur la question de l'indépendance et de la souveraineté nationales les Parties au présent instrument s'accordent sur :

a.   Le retrait planifié et ordonné de la Mission des Nations Unies de Stabilisation d'Haïti (MINUSTAH) dans les cinq autres départements du pays;

b. L’augmentation de l’effectif de la Police Nationale d’Haïti (PNH) ;

c. La redéfinition des termes de la coopération internationale ;

d. La restructuration des représentations diplomatiques ;

e. Le repositionnement d’Haïti sur la scène internationale ;

f. La redéfinition du mécanisme de perception des taxes pour sortir le pays de la dépendance internationale ;

g. Le renforcement des Partis Politiques ;

h. Le vote de la loi sur le fonctionnement des ONGs.

   Le Pouvoir Exécutif se charge de la mise en œuvre des points (a) à (f) du présent article. Le Pouvoir Législatif se charge de la mise en œuvre du point (h) de l’article. Les Trois (3) Pouvoirs de l’Etat ainsi que la Société civile se chargent de la mise en œuvre du point (g).



II. DES ÉLECTIONS

Article 7 : Cadre institutionnel

   Les Parties s’accordent pour que le Collège Transitoire du Conseil Électoral Permanent (CTCEP) soit renommé "Conseil Électoral Provisoire (CEP)". Chacun des trois Pouvoirs de l’État, à savoir l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire peut procéder, après évaluation au retrait d’au maximum un de ses membres et pourvoir à son remplacement, dans un délai ne dépassant pas dix (10) jours après la signature du présent accord.

   Les Pouvoirs Exécutif, Législatif et Judiciaire se chargent de la mise en œuvre de cet article 7.

Article 8 : Loi électorale

   Les Parties s'accordent sur l’opportunité d’amender la loi électorale. Une liste non exhaustive d’articles considérés comme irritants est déjà disponible. Les Pouvoirs Exécutif, Législatif (La Chambre des Députés et le Sénat), le CEP ainsi que les Partis Politiques pourvoiront à la mise en œuvre de la présente disposition dans un délai ne dépassant pas dix (10) jours ouvrables après la signature du présent accord.

Article 9 : Processus électoral

   Les Parties s’accordent sur la nécessité de:

a.   Introduire graduellement l’urne électronique dans les compétitions électorales (possiblement dans les prochaines élections avec un cadre légal approprié) ;

b.   Réaliser des élections citoyennes et souveraines avec la participation bénévole de toute personne ayant atteint l’âge de la majorité ;

c. Permettre graduellement aux Haïtiens vivant à l’étranger (diaspora), détenteurs d’une Carte d’Identification Nationale (CIN), dûment inscrits sur la liste électorale et répondant aux exigences de l’article 16 de la Constitution amendée, de voter lors des prochaines élections (cadre légal à établir).

   Les Pouvoirs Exécutif et Législatif ainsi que le Conseil Électoral Provisoire (CEP) se chargent de la mise en œuvre de cet article.

Article 10 : Renouvellement des mandats

   Les Parties au présent instrument (Exécutif, Législatif, Partis Politiques) s’accordent sur l’organisation d’une seule élection avant la fin de l’année 2014 préférablement le dimanche 26 octobre pour la tenue du premier tour, pour le renouvellement des 2/3 du Sénat, de la Chambre des Députés et pour les Collectivités Territoriales.

   Le Conseil Électoral Provisoire sera chargé de mettre en œuvre cet article. La durée des mandats des prochains sénateurs sera déterminée par la Constitution et par la loi électorale à amender.


III. CONSTITUTION

Article 11 : Amendement

   Les Parties s'engagent à faire amender la Constitution conformément à la procédure tracée et dans le délai imparti par la Constitution.
   A cette fin, il est créé une Commission spéciale ci-après dénommée Commission de suivi, composée de représentants de l'Exécutif, du Parlement des Partis Politiques et de la Société Civile.


  IV. DISPOSITIONS SPÉCIALES

Article 12 : Dans le cas où les amendements à la loi électorale prévus et proposés dans le cadre du dialogue ne sont pas votés par les deux branches du Parlement dans le délai imparti à l’article huit (8) du présent accord, les Parties constatent avec le Conseil Electoral Provisoire (CEP) l’impossibilité matérielle d’appliquer les articles visés. En conséquence les Parties conviennent que ces dits articles entrent automatiquement en veilleuse et l’organisme électoral est autorisé à y passer outre.

   En conséquence les Parties conviennent que ces dits articles entrent automatiquement en veilleuse et l’organisme électoral est autorisé à y passer outre.

Article 13: Commission de suivi des accords

   Conformément à l'article 7 du Protocole de Médiation et au présent instrument, les Parties conviennent de mettre en place la Commission de suivi des accords. Cette Commission est supervisée par la Médiatrice. Elle rend compte directement à celle-ci Elle est constituée de :
-   Quatre (4) membres venant des partis politiques ;
-   un (1) membre de l’Exécutif ;
-   un (1) membre du Parlement ;
-   un (1) membre des Observateurs indépendants.

Article 14 : Droit de réserves
 
   Les Parties signataires du présent accord ont le droit de formuler des réserves sur une ou plusieurs clauses du présent instrument.
 
Des réserves ont été émises par l’Exécutif :
  1. Sur l’article 2 alinéa (e) portant sur la publication des résolutions votées au Parlement
  2. Sur l’article 3 portant sur la question des frères Florestal.
Des Réserves ont été émises par le Sénat sur les articles suivants:
  1. Article 1 sur le gouvernement d’ouverture demandant d’inscrire dans le présent accord un gouvernement qui inspire confiance;
  2. Article 7 portant sur le Conseil Electoral Provisoire. Le Sénat demande qu’on applique l’article 289 de la Constitution de 1987 amendée portant sur la composition du Conseil Electoral Provisoire.
  3. Article 9 le Sénat est favorable aux votes de la diaspora mais émet des réserves quant à la possibilité d’établir un mécanisme fiable de contrôle du processus électoral.
 
Des réserves ont été émises par le Parti « RESPE » sur la manière dont les Parties aux assises entendent constituer le Conseil Electoral Provisoire. Ces réserves se justifient par le fait que la manière de constituer l’organisme électoral est contraire à la Constitution en son article 289. Ainsi, RESPE conditionne sa signature par lui de cet accord moyennant l’insertion et la prise en compte de ses réserves dans ledit accord.
 
 
Toutes les Parties signataires et chacune d’elles s’engagent à respecter et à appliquer en ce qui le concerne, le présent accord en tout et dans toutes ses parties. Fait à Port au Prince et signé de bonne foi, le 14 mars 2014 à l'hôtel "El Rancho".
 
 
Suivent les signatures de:
 
_____________________________________
Michel Joseph Martelly
Président de la République
 
 
_____________________________________
Chibly Cardinal LANGLOIS
Evêque des Cayes et Président de la CEH
 
 
_____________________________________
Desras Simon Dieuseul
Président du Sénat de la République
 
 
 
_____________________________________
Steevenson Thimoléon
Président de la Chambre des Députés

 
Etc.
________________________________________________
 

samedi 15 mars 2014

Haïti et ses Constitutions (20): Constitution de 1957 pour le Dr. François Duvalier

Par Dr. Pierre Montès


Le  6 décembre 1956 le Président Paul E. Magloire met fin à son mandat présidentiel et rentre dans ses casernes. L’opposition met de la pression sur le Général pour qu’il quitte effectivement le pouvoir.  Finalement, le 12 décembre 1956 le Général Magloire remet le pouvoir au Président de la Cour de Cassation et démissionne comme chef de l’Armée. 
Entre la chute de Paul Magloire le 12 décembre 1956 et l’avènement de François Duvalier au pouvoir le 22 octobre 1957, une période mouvementée s’installe en Haïti.
Un certain nombre de gouvernements provisoires se succèdent :
a)     Joseph Nemours Pierre-Louis (12 décembre 1956 – 3 février 1957)
b)    Franck Sylvain (7 février 1957 – 2 avril 1957)
c)     Conseil Exécutif de Gouvernement (6 avril 1957 – 25 mai 1957)
d)    Daniel Fignolé (7 février 1957 – 14 juin 1957)
e)     Conseil Militaire de Gouvernement, CMG (14 juin 1957 – 22 octobre 1957)
 
Le CMG organise des élections générales le 22 septembre 1957.
Le Dr. François Duvalier est élu Président de la République. Son investiture a lieu le 22 octobre 1957.
Les parlementaires issus des élections législatives du 22 septembre 1957, 21 Sénateurs et 37 Députés, se réunissent en Assemblée constituante pour écrire une nouvelle constitution dans les deux mois suivant la prestation de serment de serment du Président de la République, le Dr. François Duvalier.
La nouvelle constitution([1a], [1b]) est promulguée le 19 décembre 1957.
 
La constitution de 1957 stipule en son Article 48 que le Pouvoir Législatif est exercé par une Assemblée Unique dénommée «Chambre Législative». L’article 49 précise que les membres de la Chambre Législative sont des Députés. Leur nombre est fixé à 67 jusqu’à ce qu’une loi vienne établir le nombre de citoyens que doit représenter chaque député. 
La constitution de 1957 fait usage de l’expression « Corps Législatif» sans la définir. À la lecture, on déduit que cette expression est utilisée comme synonyme de l’expression «Chambre Législative» qui elle est définie dans la constitution de manière explicite.
 
Nulle part dans la constitution de 1957 la fonction de Sénateur n’est définie. Pourtant dans les Dispositions Transitoires, il est questions des Sénateurs  et des deux Chambres, alors que la constitution parle ailleurs de «Chambre unique». Les Sénateurs en question sont ceux qui furent élus aux élections du 22 septembre 1957.
 
L’Article 51 fixe à 6 (six) ans la durée du mandat des Députés :
Article 51.- Les Membres du Corps Législatif sont élus pour six ans et sont indéfiniment rééligibles. 
 
Dans les Dispositions Transitoires, l’Article B fixe au deuxième lundi d’avril 1963, la date de la fin du mandat des Sénateurs et l’Article C fixe à cette même date la fin du mandat des Députés élus en même temps que les Sénateurs, le 22 septembre 1957, sous l’empire du Décret électoral du CMG daté du 28 août 1957.
La constitution de 1957 sous-entend qu’il n’y aura plus de Sénateurs à partir du deuxième lundi d’avril 1963, mais elle précise de manière explicite que la Chambre des Députés sera renouvelée à cette même date.
 
L’Article 87 de la constitution fixe à 6 (six) ans la durée du mandat du Président de la République. Il précise comment doit être interprétée cette durée de ses six ans.
 
Article 87.- La durée du Mandat Présidentiel est de six (6) ans, et cette période commencera et se terminera le 15 Mai sans qu'il soit possible an Chef du Pouvoir Exécutif de continuer à exercer ses fonctions un jour de plus. S'il est élu pour remplir une vacance, il entre en fonction des son élection et son Mandat est censé commencer depuis le 15 Mai précédant la date de son élection, et le terme constitutionnel prend fin même si la sixième année de son Mandat n'est pas entièrement révolue.
 
Dans les Dispositions Spéciales, il y a l’Article A qui établit la date de la fin du mandat du Président de la République :
Article A.—Le mandat de I'actuel Président de la République élu
le 22 Septembre 1957 prendra fin le 15 Mai 1963.
 
 Cependant, la Constitution de 1957 ne dit pas explicitement si le Président en fonction n’a pas le droit de se porter candidat à sa propre succession.
 
L’Article 127 explique comment sont élus les Députés et le Président de la République:
 
Article 127.- Les Assemblées Primaires se réunissent tous les six (6) ans sur convocation de l'Exécutif, ou, à défaut de convocation, de plein droit dans chaque Commune, au deuxième dimanche de février suivant le mode prévu par la Loi pour l'élection des Conseillers Communaux, des Membres du Corps Législatif et du Président de la République. 
 
Coup de théâtre  (ou coup d’État) du 30 avril 1961 par et pour François Duvalier –
 
Le Président de la République, le Dr. François Duvalier, considère (c’est notre interprétation) que les 37 Députés élus sous l’empire de la Constitution de 1950 ont eu un mandat de 4 (quatre) ans et ne pouvaient pas eux-mêmes, après leur élection,  réunis en Assemblée constituante pour écrire une nouvelle constitution, profiter de l’occasion pour modifier la durée de leur mandat et la porter de 4 à 6 ans. 
Donc, au début d’avril 1961, soit 4 (quatre) ans après leur élection comme Députés, le Président de la République, le Dr. François Duvalier, considère que le mandat des Députés prend fin et déclenche des élections pour les 67 nouveaux Députés devant former la «Chambre unique» prévue dans la constitution de 1957. Du même coup, il considère la caducité du mandat des 21 Sénateurs élus en 1957.
 
En effet, il écrira en 1969 à la page 85 de son livre, Mémoires d’un Leaders du Tiers Monde :
 «Le Pouvoir exécutif prit acte de l’expiration du mandat des députés, de la caducité de celui des sénateurs élus le 22 septembre 1957 et de la nécessité de mettre immédiatement en œuvre les dispositions de la Constitution. Aux élections du 30 avril 1961, on devait aboutir à la Chambre unique, qui en tout point ressemble à la grande assemblée turque d’Ankara inaugurée par Kemal Atatürk
 
Le scrutin se tient donc le 30 avril 1961. 
Les 67 candidats du Parti de l’Unité Nationale (PUN), le parti du Président Duvalier, seront tous élus.  
De plus, sur chacun des bulletins de vote est inscrit le nom du Président François Duvalier sans spécifier qu’il est candidat. Les résultats officiels sont proclamés une semaine plus tard. 
Voici ce qu’il écrira en 1969, à la page 86 des Mémoires d’un Leader du Tiers Monde : 
«Pour ma part – selon un recensement du Haut Tribunal de Cassation – 1 321 543 électeurs qui m’avaient vu à l’œuvre au cours des quatre premières années de mon gouvernement, avaient saisi le sens de ma politique de justice sociale et apprécié l’énergie farouche avec laquelle j’assurais le respect de la souveraineté nationale et la défense des conquêtes de la révolution, me renouvelèrent leur confiance. Réélu Président de la République, je prêtai serment devant l’Assemblée nationale le 22 mai 1961 dans un enthousiasme délirant
 
Le 30 avril 1961, le Président Duvalier obtient donc un deuxième mandat d’une durée de 6 (six), conformément à la Constitution de 1957 en vigueur.
 
Elizabeth Abott, dans Haiti, The Duvaliers and Their Legacy , page 162, rapporte que Duvalier fit, après l’élection-référendum du 30 avril 1961, une déclaration qui se résume essentiellement en ces termes :
«J’accepte le verdict du peuple. En tant que révolutionnaire, je n’ai pas le droit de ne pas obéir à la volonté du peuple
 
Trois ans plus tard, en 1964, il modifiera formellement la constitution de 1957 pour lui permettre de devenir Président à vie de la République : ce sera la Constitution de 1964, la 21e constitution d’Haïti que nous présenterons dans un prochain article. 
 
***
 
Voici quelques articles de la constitution de 1957.-
 
Article 48.— Le Pouvoir Législatif est exercé par une Assemblée Unique dénommée : «CHAMBRE LÉGISLATIVE». 
Article 49.—Le nombre des Membres de la Chambre Législative est fixé à 67 Députés jusqu'à ce que la Loi ait établi le nombre de citoyens que doit représenter chaque Député.
En attendant, le nombre et I'étendue des circonscriptions par Arrondissement seront fixés, en tenant compte de leur importance économique et politique et de la densité de la population.
Le Député est élu à la majorité relative des votes émis par les Assemblées Primaires d'après les conditions et le mode prescrits par la Loi.
 
Article 51.—Les Membres du Corps Législatif sont élus pour six ans et sont indéfiniment rééligibles. Ils entrent en fonction le Deuxième Lundi d'Avril de I'Année où ils sont élus, sauf s'ils le sont pour remplir une vacance. Dans ce dernier cas ils entrent en fonction des leur élection et leur Mandat ne dure que le temps qui reste à courir.
Article 54.—Les Membres du Corps Législatif se réunissent en Assemblée Nationale pour I'ouverture et la clôture de chaque Session; ainsi que dans les cas prévus à I'article 55 de la présente Constitution.
Les Pouvoirs de I'Assemblée Nationale sont limités et ne peuvent s'étendre à d'autres objets que ceux qui lui sont spécialement attribués par la Constitution. 
Article 55.—Les attributions de I'Assemblée Nationale sont:
1o.—de recevoir le Serment Constitutionnel du Président de la République;
etc.
Article 60.—Le Corps Législatif se réunit de plein droit chaque année, le Deuxième Lundi d'Avril.
La Session prend date dès la première réunion du Corps Législatif en Assemblée Nationale.
La Session dure trois mois. En cas de nécessité, elle peut être prolongée de Un à Deux mois par le Pouvoir Exécutif ou le Pouvoir Législatif.
Le Président de la République peut ajourner le Corps Législatif en cas de conflit entre les Deux Pouvoirs, mais I'ajournement ne peut être de plus d'un mois ni de moins de quinze jours; et pas plus de deux ajournements ne peuvent avoir lieu dans le cours d'une même Session. Le temps de I'ajournement ne sera pas imputé sur la durée constitutionnelle de la Session.
A la suite de deux crises ministérielles provoquées par un vote de blame du Parlement, si après I'épuisement des deux ajournements prévus, au cours de la même Session, le conflit persiste entre les deux Pouvoirs et paralyse toutes activités exécutives, le Décret de dissolution sera pris par I'Exécutif après avis du Conseil des Secrétaires d'Etat.
Le même DECRET ordonnera de nouvelles élections qui auront lieu dans un délai de trois mois. La publication de ce Décret entrainera le renvoi immédiat de tous les Membres du Cabinet Ministériel qui ne pourront, en aucun cas, faire partie de la prochaine composition gouvernementale.
Tout Décret de dissolution du Parlement pris en dehors de la forme prescrite dans le présent article demeure nul et inopérant.
Article 86.—Le Pouvoir Exécutif est exercé par un citoyen qui reçoit le titre de Président de la République, assisté de Secrétaires d'État, et de Sous-Secrétaires d'État. 
Article 87.—La durée du Mandat Présidentiel est de SIX ANS, et cette période commencera et se terminera le 15 Mai sans qu'il soit possible au Chef du Pouvoir Exécutif de continuer à exercer ses fonctions un jour de plus. S'il est élu pour remplir une vacance, il entre en fonction dès son élection et son Mandat est censé commencer depuis le 15 Mai précédant la date de son élection, et le terme constitutionnel prend fin même si la sixième année de son Mandat n'est pas entièrement révolue. 
Article 90.— Le Président de la République nomme et révoque les Secrétaires
d'État ainsi que les Fonctionnaires et Employés Publics.
etc.
Article 98.—Le Président de la République est élu par suffrages directs et à la majorité relative des voix exprimées par les électeurs.
La loi règlementera les cas de carence ou d'annulation d'élection dans une ou plusieurs localités. 
Article 99.—Six mois avant le terme du Mandat du Président en fonction, celui-ci convoque les Assemblées Primaires qui se réunissent sur cette convocation ou de plein droit, le deuxième Dimanche de Février aux fins d'élire le Président de la République.
L'Organisation, le fonctionnement des bureaux de vote, le recensement des suffrages se feront dans les formes et délais déterminés par la Loi.
Article 100.—En cas de vacance par décès, démission ou toute autre cause de la fonction de Président de la République, le Président de la Cour de Cassation ou à son défaut, le Président de l’Assemblée Nationale, ou à défaut de celui-ci, le Vice-Président du Tribunal de Cassation et à défaut de ce dernier le Vice-Président de I'Assemblée Nationale, est automatiquement investi du Pouvoir Exécutif à titre Provisoire.
Le Président bénéficiant de cette saisine provisoire ne pourra en aucun cas, être candidat à la Présidence et devra organiser les élections par suffrage direct dans un délai de trois mois (3 mois).
Le nouveau Chef d'Etat ainsi élu exercera ses pouvoirs pour un mandat régulier de six ans (6 ans).
La démission du Président de la République, pour être valable doit être adressée directement à I'Assemblée Nationale et en cas de dissolution du Corps Législatif, à la Cour de Cassation.
 
Article 107.—II est institué un Grand Conseil Technique des Ressources Nationales et du Développement Économique. C'est un Organisme indépendant dont les membres seront nommés par Arrêté du Président de la République.
Son fonctionnement sera déterminé par la Loi. 
Article 108.—L'Office du Budget, relevant directement du Chef du Pouvoir Exécutif, est chargé d'élaborer, en contact étroit avec le Secrétaire Permanent du Conseil Technique des Ressources Nationales et du Développement Économique, le Budget de Dépenses et Recettes de I'État, et d'en suivre I'exécution. II doit en outre s'appliquer à promouvoir I'Économie Nationale en intégrant les Dépenses et Recettes Publiques dans les plans généraux de Développement économique du Pays. 
Article 137.—La grève des fonctionnaires et employés publics est interdite, ainsi que I'abandon collectif de leurs fonctions.
La militarisation des Services Publics ou la mobilisation générale peut être décrétée dans le cas de péril national ou de troubles civils graves, telles que les grèves générales illégales ou à caractère politique.
L'ordre de mobilisation générale, en vertu de la Loi sur le Service Militaire, peut être décrété en cas de troubles civils graves par le Pouvoir Exécutif.
ARTICLE SPECIAL.—Tous les actes accomplis par le Conseil Militaire de Gouvernement durant la vacance présidentielle ouverte le 14 Juin 1957 sont ratifiés et valables, sous la réserve du Droit du Pouvoir Compétent d'apporter législativement aux Décrets et Arrêtés pris par ledit Conseil, toutes Modifications que pourra réclamer I'lntérêt public.
 
DISPOSITIONS TRANSITOIRES
Article A.—Le mandat de I'actuel Président de la République élu le 22 Septembre 1957 prendra fin le 15 Mai 1963.
Article B.—-La Chambre des Députés et le Sénat reconstitués aux élections du 22 Septembre 1957 exerceront la Puissance Législative jusqu'au deuxième Lundi d'Avril 1963 date de la fin du Mandat des 21 Sénateurs élus sous I'empire du Décret Électoral du Conseil Militaire de Gouvernement en date du 28 Août 1957.  
Article C.—Les 37 Députés actuels exerceront leur mandat jusqu'au deuxième Lundi d'Avril 1963.
Durant la période où le Pouvoir Législatif, tel qu'il a été défini aux articles 50, 51, 52, 53, 59, 60, 61, 62. 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 83, 84, 85, 149, 190, 191, 192, sera exercé par les Deux Chambres, les dispositions suivantes seront en vigueur, en sus de celles prescrites par les articles sus-mentionnés; 
1o.) Les Deux Chambres se réuniront en Assemblee Nationale dans les cas prévus par la Constitution. Le Président titulaire du Sénat présidera I'Assemblée, le Président titulaire de la Chambre des Députés en sera le Vice-Président et les Secrétaires des deux Chambres en seront les Secrétaires. La présence dans I'Assemblée Nationale de la majorité de chacune des deux Chambres est nécessaire pour prendre les Résolutions.
2o.) En cas d'objection de l’Exécutif à une loi votée par le Corps Législatif, le Président de la République renvoie la Ioi à la Chambre ou elle a été primitivement votée avec ses objections. Si la Loi ainsi amendée est votée par la seconde Chambre, elle sera adressée de nouveau au Président pour être promulguée.
Si les objections sont rejetées par la Chambre qui a primitivement voté la loi, elle est renvoyée à I'autre Chambre avec les objections.
Si la seconde Chambre vote également le rejet, la Loi est renvoyée au Président de la République qui est dans l’obligation de la promulguer. 
3o.) L'Initiative des Lois appartient à chacune des deux Chambres ainsi qu'au Pouvoir Exécutif.
Néanmoins, la loi Budgétaire, celle comprenant I'assiette, la quotité et le mode de perception des impôts et contributions, celle ayant pour objet de créer des Recettes ou d'augmenter les Dépenses de l’État doivent d'abord être votées par la Chambre des Députés.
En cas de désaccord entre les deux Chambres relativement aux Lois mentionnées dans le précédent paragraphe, chaque Chambre nomme, par tirage au sort, en nombre égal une Commission Interparlementaire qui résoudra en dernier ressort le désaccord.
Si le désaccord se produit à I'occasion de toute autre loi, celle-ci sera ajournée jusqu'à la Session suivante. Si, à cette Session, et même en cas de renouvellement des Chambres, la Loi étant présentée à nouveau, une entente ne se réalise pas, chaque Chambre nommera au scrutin de liste et en nombre égal une Commission chargée d'arrêter le texte définitif qui sera soumis aux deux Assemblées, à commencer par celle qui avait primitivement voté la Loi. Et si ces nouvelles délibérations ne donnent aucun résultat, le Projet ou la proposition de Loi sera retiré.
 
4o.) Chaque Chambre a le droit d'amender et de diviser les articles et amendements proposés. Les amendements votés par une Chambre ne peuvent faire partie d'un projet de Loi qu'après avoir été votés par I'autre Chambre; et aucun projet ne deviendra Loi qu'après avoir été voté dans la même forme par les deux Chambres.
Tout projet peut être retiré de la discussion tant qu'il n'a pas été définitivement voté. 
5o.) Un projet de loi rejeté par l'une des Deux Chambres ne peut être reproduit dans la même Session. 
6o.) La Chambre des Députés accuse le Président de la République et le traduit devant le Sénat érigé en Haute Cour de Justice, pour crime de trahison ou tout autre crime ou délit commis dans I'exercice de ses Fonctions.
Elle accuse également et traduit devant la Haute Cour:  
i) Les Secrétaires d'État en cas de malversation, de trahison, d'abus ou d'excès de pouvoir ou de tout autre crime ou délit commis dans I'exercice de leurs fonctions; 
ii) En cas de forfaiture, tout Membre de la Cour de Cassation et tout Officier du Ministère Public près ladite Cour. 
La mise en accusation ne pourra être prononcée qu'à la majorité des deux tiers des Membres de la Chambre. 
 À l’ouverture de I'audience, chaque Membre de la Haute Cour de Justice prête le serment de juger avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, suivant sa conscience et son intime conviction. 
La Haute Cour de Justice ne pourra prononcer d'autre peine que la déchéance, la destitution et la privation du droit d'exercer toute fonction publique durant un an au moins et cinq ans au plus, mais le condamné peut être traduit devant les tribunaux ordinaires conformément à la Loi, s'il y a lieu d'appliquer d'autres peines ou de statuer sur I'exercice de l’action civile.  
Nul ne peut être jugé, ni condamne, qu'à la majorité des deux tiers des Membres du Sénat.
Les limites prescrites par I'article 60 de la Constitution à la durée des Sessions du Corps Législatif, ne peuvent servir à mettre fin aux poursuites lorsque le Sénat siège en Haute Cour de Justice. 
7o) L'examen et la liquidation des Comptes de I'Administration Générale et de tout comptable envers le Trésor se feront, suivant le mode établi par la Loi, par la Cour Supérieure des Comptes. 
80) En vue d'exercer un contrôle sérieux et permanent des Dépenses Publiques, a été élue au scrutin secret, au début de I'actuelle Législature, une Commission Interparlementaire de quinze membres dont neuf Députés et six Sénateurs chargée de rapporter sur la gestion des Secrétaires d'État pour permettre aux deux Assemblées de leur accorder ou de leur refuser décharge.
Cette Commission pourra s'adjoindre trois spécialistes comptables au plus, ainsi que des employés pour I'aider dans son contrôle. 
Article D.— Les prochaines élections des Conseils Communaux auront lieu en même temps que celles des Députés. 
Article E.— Dans les deux mois à partir de la Publication de la présente Constitution, le Pouvoir Exécutif est autorisé à procéder, dans les Cours et Tribunaux ainsi que dans les Organismes Administratifs et Financiers d'État, à tous changements ou réformes qui seront jugés nécessaires. 
Article F.— La présente Constitution entrera en vigueur dès la Publication qui en sera faite au «MONITEUR» Journal Officiel de la République.