samedi 20 septembre 2014

Haïti / L'emprunt en 1825 de 30 millions de francs sur le marché des obligations à la Bourse de Paris et son remboursement

Par Dr. Pierre Montès


Pour verser le premier cinquième de l’indemnité de 150 millions de francs imposée par la France, Haïti emprunta à la fin de 1825 sur le marché des obligations à la Bourse de Paris 30 millions de francs à 80%. Cet emprunt (capital et intérêts) fut remboursé de 1826 à 1893. Le présent article résume un peu l’histoire de cet emprunt et de son remboursement.
 
L’Ordonnance du 17 avril 1825
L’article 2 de l’ordonnance de 1825 [1]  fixait à 150 millions de francs le montant de l’indemnité à verser par Haïti pour dédommager les anciens colons qui ont été privés de la jouissance du leurs propriétés  à Saint-Domingue depuis la guerre contre la France (1791-1803). Cette somme, selon la France, représentait 10% de la valeur des biens des colons en 1789 [2]. L’article 2 de l’Ordonnance fixait aussi le mode de paiement de l’indemnité.
Le paiement du premier cinquième de l’indemnité devait s’effectuer le ou avant le 31 décembre 1825. Le paiement complet devait s’échelonner sur 5 ans. Le taux d’intérêt était nul. Les versements demandés étaient égaux; ils s’élevaient donc à 30 millions de francs par an.
Comment Haïti obtint-elle 24 des 30 millions de francs du premier cinquième de l’indemnité ?
Le Président Boyer envoya en France trois commissaires : le sénateur Daumec (qui mourut en France au cours de sa mission), le sénateur Rouanez et le colonel Frémont. Ils avaient pour mandat:  
  • de contracter sur le marché financier en France un emprunt de 30 millions de francs pour payer le premier cinquième de l’indemnité qui arrivait à échéance le 31 décembre 1825;
  • de conclure un traité commercial avec la France en vue de lever les ambiguïtés de l’ordonnance de Charles X.
Ils partirent à bord de la frégate ‘’La Circé ’’du baron de Mackau qui était venu remettre l’Ordonnance de Charles X au Président Boyer. Le Président haïtien remit au baron de Mackau une lettre manuscrite adressée au Roi de France dans laquelle il demandait formellement une réduction du montant de l’indemnité [3].
L.- G. Ternaux [4] avait préparé en octobre 1825, pour le Duc de La Rochefoucault Liancourt, un document qui vantait de manière surréaliste les capacités de payer du nouvel État d’Haïti s’il contractait des emprunts sur le marché financier en France. Ce document fut communiqué au public de l’époque pour les convaincre d’investir dans les obligations de l’emprunt d’Haïti. Les journaux de l'époque relayaient le contenu du rapport de Ternaux.
Au début d’octobre 1825, la banque Ternaux et Gandolphe prépara les documents relatifs à un emprunt projeté pour Haïti d’une somme de 30 millions de francs remboursable en 25 ans. Un appel d’offre fut lancé dans le but de trouver une banque (ou un groupe de banquiers) qui offrirait à Haïti le montant le plus élevé pour l’achat de 30 000 obligations de valeur nominale 1000 francs chacune.
L’emprunt devait donc être vendu par adjudication à un groupe de banquiers qui offrirait les meilleures conditions à Haïti. Dans ce genre d’opérations, le groupe de banquiers offrirait de verser à Haïti un montant inférieur à 1000 francs par obligation, mais son offre devrait être la plus proche possible de la valeur nominale de 1000 francs.
Le groupe de banquiers qui remportait l’adjudication devait verser immédiatement à Haïti le montant correspondant à son offre. Il devait ensuite se rembourser en vendant sur le marché de la Bourse de Paris les 30 000 obligations émises à un prix supérieur au prix consenti à Haïti pour pouvoir faire un profit.
Les obligations de 1000 francs rapporteraient aux porteurs des intérêts simples de 6% par an. À l’époque, le taux légal en France était de 5% ou moins; en matière commercial, il ne devait pas dépasser 6% [5].
Les 30 000 obligations d'Haïti étaient réparties en 25 séries (de A jusqu’à Z, excluant W); chaque série était numérotée de 1 à 1200.
[N.B. : 25 x 1200 = 30 000 obligations;  30 000 obligations x 1000 francs = 30 000 000 francs]
Le capital de 30 000 000 de francs était remboursable par Haïti en 25 ans  par tranches de 1/25e par année par un tirage au sort d’une série de 1200 obligations du 1er janvier 1827 au 1er janvier 1851.
L’image suivante est la copie d’une obligation de l’emprunt d’Haïti en 1825.




Source: Lepelletier de Saint-Rémy [11], p. 121



 
L’adjudication de l’emprunt d’Haïti [6, 7, 8] s’est déroulée à Paris le 3 novembre 1825. Deux groupes de banquiers soumissionnèrent: le premier groupe comprenait MM. Delessert et compagnie  et Casimir Perrier; l’autre,  MM. André et Cottier, Jacques Lefebvre, Mallet et frères et Pillet-Will.  Un troisième groupe intéressé comprenait MM. Jacques Laffitte et compagnie, le syndicat des receveurs généraux, MM.  Rothschild frères, Ardoin Hubbard, Jonas Hagerman, Blanc Colin et compagnie, César de la Panouze, Paravey et compagnie.  Ce troisième groupe n’a pas voulu soumissionner, car il n’acceptait pas de procéder par soumission secrète et il préférait des enchères publiques à la criée.
En milieu de journée du 3 novembre, les deux premiers groupes de banquiers sans se concerter proposèrent 760 francs par obligation d'Haïti de valeur nominale 1000 francs. Mais le minimum secret fixé par les commissaires haïtiens étant de 900 francs, l’adjudication fut donc annulée.
C’est à ce moment qu’intervint le troisième groupe, celui de Jacques Laffitte qui accepta de négocier avec les commissaires haïtiens à condition de ne pas avoir de concurrents. Il proposa 770 francs.  Les commissaires haïtiens abaissèrent alors leur minimum à 850 francs.  Laffitte proposa alors 780 francs sous la condition que son groupe pût organiser l’emprunt comme il l’entendait. Frémont et Rouanez, après avoir consulté Daumec qui était alité, acceptèrent les conditions de Laffitte et déclarèrent que leur minimum final était de 800 francs. Laffitte proposa alors 790 francs.  C’était au lieu de l’après-midi. La négociation fut suspendue.
L’agent de change, Maurenq, chargé de certifier l’opération pour la Bourse de Paris  tenta de rapprocher les parties. De sa propre initiative, il se rendit chez Laffitte pour lui demander de poursuivre la négociation; puis il contacta Rouanez qui accepta de continuer la discussion.  Laffitte et son groupe proposèrent alors 790,50 francs, mais les commissaires haïtiens maintinrent leur minimum à 800 francs. Maurenq suggéra alors fortement à Rothschild d’accepter 800 francs. Ce dernier n’accepta pas tout de suite; il alla discuter avec Laffitte et leurs discussions se prolongea jusqu’à minuit et, à ce moment-là, le groupe Laffitte accepta d’acheter l’emprunt d’Haïti à 800 francs. Maurenq se rendit alors chez Frémont et Rouanez pour leur communiquer la bonne nouvelle [6, 7].
Quelques jours après, les obligations d’Haïti de 1000 francs furent cotées à la Bourse de Paris à 840 francs [8]. Voici ce que fut la cote des obligations de l’emprunt d’Haïti à quelques dates  entre 1826 et 1848 à la Bourse de Paris [7, 11] :
a)      27 septembre 1826 : 660 francs
b)      14 septembre 1827 : 700
c)      19 septembre 1828 : 640
d)      13 mai 1829              : 450
e)      15 octobre 1829       : 345
f)         2 juin 1830               : 530
g)        7 janvier 1831         : 320
h)      21 décembre 1832   : 220
i)        24 juin 1833              : 260
j)        mars 1845                 : 425
k)       1846                          : 360
l)          3 août 1848            : 195
 
Pour avancer à Haïti les 24 millions de francs, soit les 80% des 30 millions de francs en obligations qu’Haïti allait devoir rembourser en 25 ans avec des intérêts de 6% par année, voici comment le groupe Laffitte s’y était pris. Il emprunta 20 millions de francs de la Caisse des dépôts et consignations à un taux d’intérêt de 3%; il ajouta à cette somme 4 millions de francs provenant des fonds propres du groupe; le tout, soit 24 millions de francs, fut versé à la Caisse des dépôts et consignations en faveur d’Haïti le 31 décembre 1825 [7].
 
Étant donné qu’Haïti n’avait reçu que 24 millions et devrait rembourser 30 millions à 6%, le taux d’intérêt réel qui s’appliquait sur le montant effectivement reçu était plutôt de 7,5% (7,5% de 24 millions de francs est une somme équivalente à 6% de 30 millions de francs, soit 1,8 millions de francs d’intérêts qui seraient dus à la fin de 1826).
Pour pouvoir verser à la Caisse des dépôts et consignations l’intégralité des 30 millions de francs représentant le 1er cinquième du montant initial de l’indemnité, Haïti aurait pu négocier la mise en circulation de 37 500 obligations (au lieu de 30 000) de valeur nominale 1000 francs que le groupe Laffitte aurait (peut-être) achetées à 800 francs. Une telle opération aurait donc donné un total de 30 millions de francs (au lieu de 24 millions) à verser à la Caisse des dépôts et consignations. Mais les instructions du Président Boyer aux commissaires limitaient formellement l'emprunt à contracter à un maximum de 30 millions de francs. 
 
À la fin de 1825, Haïti devait 126 000 000 francs en indemnité aux anciens colons et 30 000 000 de francs aux obligataires de l’emprunt (total 156 000 000 de francs).  C’est ce qu’il a été convenu d’appeler «la double dette».       
[N.B. Des  6 millions manquants sur les 30 millions représentant le 1er cinquième de l’indemnité, Haïti n’avait pu réunir et verser en 1826 que 5,3 millions de francs provenant d’une somme d’un million de piastres fortes provenant du Trésor public haïtien transportée en France par bateau et convertie en francs [9]. Il lui manquait donc la somme de  700 000 francs pour compléter le paiement du premier cinquième de la dette de 150 millions de francs. Ce ne fut qu’entre 1838 et 1840 qu’Haïti allait finir par compléter le paiement du premier cinquième de l’indemnité  à la Caisse des dépôts et consignation de France dû depuis la fin de 1825 [9].]
 
Comment théoriquement aurait dû être remboursée la double dette ?
 En 1826, Haïti devait donc 120 700 000 francs d’indemnité aux anciens colons français et 30 000 000 francs en obligations.
L’indemnité ne comportait pas de paiement d’intérêts si les versements étaient faits sans retard.
Si l’on se replace en 1826, et si Haïti ne contractait aucuns nouveaux emprunts, voici comment le remboursement de la double dette aurait dû se poursuivre :
a)         Le solde de 120 700 000 de francs de l’indemnité aux anciens colons
  1. Le solde de 700 000 francs restant du 1er cinquième aurait dû être payé dès la fin 1825.
  2. Le 2e cinquième, 30 millions de francs, aurait dû être payé le 31 décembre 1826.
  3. Le 3e cinquième, 30 millions de francs, aurait dû être payé le 31 décembre 1827.
  4. Le 4e cinquième, 30 millions de francs, aurait dû être payé le 31 décembre 1828.
  5. Le 5e cinquième, 30 millions de francs, aurait dû être payé le 31 décembre 1829.
b)         Les obligations de l’emprunt de 30 000 000 de francs
Haïti aurait dû verser le 1er janvier de chaque année (de 1827 à 1851) un vingt-cinquième du capital  de 30 millions de francs, soit la somme de 1 200 000  francs,  pour l’amortir en 25 ans.  Elle aurait dû également payer des intérêts annuels de 6% sur le solde du capital dû durant cette période de 25 ans.
Ainsi, du 1er janvier 1827 au 1er janvier 1851, Haïti aurait dû verser un total de 53 400 000 francs au banquier Laffitte (amortissement de l’emprunt : 30 millions, intérêts cumulés : 23 400 000 francs).
Dans les faits, l’emprunt sur le marché des obligations ne fut remboursé que sur une période allant de 1826 à 1893. Quant à l’indemnité aux anciens colons, elle fut réduite de 150 à 90 millions en 1838 et son paiement s'étendit sur une période allant de 1825 à 1878.
Pour un aperçu de l’histoire du paiement de l’indemnité, le lecteur pourra consulter l’article publié précédemment sur LCDP-Politique le 19 août 2014 [10].
 
L’histoire des obligations de l’emprunt de 30 millions de francs entre 1826 et 1838
 À la fin de 1826, il n’était pas possible pour Haïti de verser à la Caisse des dépôts et consignations le 2e cinquième de l’indemnité (30 millions de francs).
Le 1er janvier 1827, Haïti n’avait pas pu verser non plus la première annuité de 3 000 000 de francs de l’emprunt à la banque Laffitte (paiement de 1 200 000 francs d’amortissement et de 1 800 000 francs d’intérêts). Aucun versement n’a pu être fait par Haïti durant l’année 1827, ni le 1er janvier 1828,  ni durant l’année 1828. Haïti était dans l’incapacité de payer.
Pour garder la confiance des obligataires, ces derniers devaient ignorer le fait qu’Haïti ne pouvait pas momentanément payer. Cependant on ne réussit à maintenir la valeur des obligations d'Haïti qu'entre 600 et 700 francs sur le marché de la Bourse de Paris entre 1826 et 1828. 
 Ainsi, pour venir à la rescousse d’Haïti dont les versements à la banque Laffitte se faisaient attendre, le  Trésor public français (TPF) versa (ou cautionna) pour Haïti à la banque Laffitte des sommes totalisant  4 848 905 francs [11] pour payer aux obligataires de l’emprunt les deux premières annuités et les intérêts de l’emprunt d’Haïti qui s’élevaient en tout à 5 928 000 francs. On peut alors inférer qu’Haïti n’aurait versé à la banque Laffitte, en 1827, qu’une somme de 1 079 905 francs pour compléter la somme avancée par le TPF. La somme de 4 848 905 francs avancée par le TPF fut remboursée par Haïti au TPF en 1835. Les circonstances entourant ce versement ou cette caution ont été débattues à l’occasion du dépôt du rapport de la commission des comptes de la Chambre des députés de France le 13 février 1833 [12].    
En 1827-1828, 2 400 obligations de 1000 francs (séries A et J) ont donc été remboursées aux obligataires par la banque Laffitte; il en restait donc 27 600 en circulation.
Le Président Boyer, tenta sans relâche entre 1826 et 1838 d’obtenir de meilleures conditions tant pour le paiement de l’indemnité aux anciens colons que pour celui des obligations de l’emprunt.  
Dès 1828, les obligataires avaient su qu’Haïti avait de la difficulté de payer. Et dès lors, la valeur des obligations de l’emprunt de 1825 s’était mise à dégringoler sur le marché boursier, passant d’environ 640 francs en 1828 à aussi bas que 220 francs en 1832.
Un certain nombre de porteurs de ces obligations les ont donc revendues à perte sur le marché financier. Et, lorsqu’en 1835 Haïti fit passer la loi sur le paiement des droits d’importation  en monnaies étrangères, des négociants proposèrent au Président Boyer, qui accepta, de payer une portion de ces droits en obligations de l’emprunt à 500 francs chacune (au lieu de 1000). On évalue à 9 987 le nombre total d’obligations que le Président Boyer put ainsi retirer du marché entre 1828 et 1838 (il y en eut d’autres par la suite pendant un certain temps). Dans l’opinion publique, il se disait, en France, que la République d’Haïti était de mauvaise foi  [11, 13].
Donc, au début de 1839, il ne restait que 17 613 obligations seulement en circulation.  
Les documents relatifs à l’indemnité et à l’emprunt permettent d’inférer qu’entre le Président Boyer et le banquier Laffitte, il s’était vite développé un lien de confiance mutuelle. Il convient de souligner ici que le banquier Jacques Laffitte était connu en France pour sa grande honnêteté et sa légendaire générosité. Il ne fait aucun doute pour moi que Jacques Laffitte a permis au Président Boyer d'identifier les moyens à prendre pour qu'Haïti ne soit pas complètement écrasée sous le poids de la double dette. 
 
 
 
Source photo : Thomas Madiou [3], p. 341
 
 
 



Jacques Laffitte, banquier
 
 
 


L’histoire des obligations de l’emprunt de 30 millions de francs en 1838 - 1839


Les arrangements pris par Haïti avec les porteurs d’obligations restant en circulation (environ 17 613 en 1839)


 
 
Monsieur Laffitte, un homme pragmatique et honnête, voulait limiter les dégâts en proposant une solution où Haïti, les porteurs d’obligations et sa banque allaient y gagner.
Selon Beaubrun Ardouin, M. Laffitte écrivit au Président Boyer pour lui dire a)  qu’étant lui-même porteur d’obligations de l’emprunt d’Haïti, il avait la conviction qu’une majorité de prêteurs accepterait un mode de libération de leurs obligations qui devrait être avantageux pour Haïti; b) que l’emprunt serait rapidement éteint si le Président acceptait de remettre un million de francs annuellement à la banque Laffitte pour payer les intérêts et le capital.
Les négociateurs français du Traité de 1838 qui eurent vent du projet de Laffitte et voulant lui nuire (et défendre à tout prix les intérêts de la France au détriment de ceux d’Haïti) tentèrent d’influencer le Président Boyer et de le porter à faire déposer de préférence à la Banque de France les sommes destinées au paiement de l’emprunt.
 Les plénipotentiaires haïtiens (Inginac en tête) firent comprendre aux négociateurs français que les questions concernant l’emprunt seraient discutées avec la banque Laffitte comme étant une affaire privée.
Cette décision par Haïti de s’entendre avec le banquier Laffitte pour négocier avec les porteurs d’obligations en France se révélera moins lourde financièrement pour Haïti que si elle déposait les paiements à la Banque de France et confiait au gouvernement français la répartition de ces fonds aux porteurs d’obligations. Inginac a eu raison de dire au baron de Las Cases : «La République aimera mieux courir le risque d’une faillite dans une banque particulière. [13] »
En combinant les informations contenues dans Beaubrun Ardouin [13], Lepelletier de Saint-Rémy [11], Thomas Madiou [14], des documents émanant de la Caisse des dépôts et consignations (publiés dans les Archives parlementaires, dans les Annales du Sénat, dans le Journal officiel de la république française, dans le Journal des Débats politiques et littéraires, etc. ), et des documents officiels émanant des gouvernements successifs d’Haïti (e.g. Recueil des Lois et Actes, Documents diplomatiques, etc.), il est possible de se faire une assez bonne idée de ce qu’a pu être l’histoire du paiement des 30 000 obligations mis sur le marché en 1825 et du paiement des intérêts que cet emprunt a engendrés (et l’histoire du paiement de l’indemnité aux anciens colons).
Donc, en 1839, il ne restait seulement que 17 613 obligations en circulation.   
Après la conclusion des traités de 1838, un million de francs devait être consacré au remboursement des obligations de l’emprunt et au paiement des intérêts. Deux commissaires haïtiens, Faubert et Frémont se sont rendus à la Banque Laffitte pour prendre les arrangements avec les porteurs d’obligations avec l’appui de M. Laffitte.  Les obligataires furent convoqués en assemblée générale. La situation réelle des finances d’Haïti leur fut exposée. Les obligataires ont alors accepté le plan conçu par la banque Laffitte et présenté par les commissaires haïtien :
·         Abandon des intérêts au taux de 6% accumulés sur 10 ans du 1er janvier 1829 au 1er janvier 1838 inclusivement sur les 27 600 obligations censées en circulation, soit 16 560 000 francs.
·         Réduction du taux d’intérêt  de 6% à 3% sur les 17 613 obligations restant dues.
·         Réduction de 1200 à 600 du nombre d’obligations remboursables annuellement par tirage au sort.
 
L’histoire des obligations de l’emprunt de 30 millions de francs entre 1839 et 1893
 Paiement du solde du solde de l’emprunt à partir du traité financier de 1838.
Les annuités de cinq premières années (1838-1842) furent réglées comme convenu avec les porteurs d’obligations. Puis, il y eut la révolution de 1843 qui suivit le tremblement de terre de 1842.  Les paiements furent suspendus en 1843 peu après la chute de Boyer.
Jacques Laffitte décéda en 1844 et le président Boyer, exilé à Paris où, dit-on, il vivait dans des conditions difficiles, mourut en 1850.
Il y eut entre la France et Haïti, une convention en 1847 [15], sous Soulouque, qui fut renégociée en 1854 [16], Elle concernait la reprise des paiements de l’indemnité et de l’emprunt.
Le remboursement de l’emprunt aux obligataires avait été repris en 1856 pour se terminer en 1885-1886 selon le Président Salomon, en 1887 selon le ministre Frédéric Marcelin, en 1893 selon le ministère français des Affaires étrangères en se basant sur le rapport d’une commission d’arbitrage franco-haïtienne.
Dans son exposé des Relations extérieures à l’Assemblée nationale pour l’année 1885, le Président Salomon présenta la situation du remboursement de la double dette d’Haïti [17]:
«Il a été compté à la France sur notre double dette, Indemnité et Emprunt, les intérêts de retard compris, une somme de Frs 727,421.36. Elle se décompose comme suit:
Terme échu le 31 mars 1883 …………………………………………. Frs  223,059.37
Intérêts sur ce terme à 5% l'an du 1er avril l883 au
31 décembre 1884, …………………………………………………………..  19,517.66
Terme échu le 30 juin 1883 ……………………………………………….. 223,059.37
Intérêts sur ce terme à 5 % l'an du 1er juillet 1883 au
31 mars 1885 ………………………………………………………………… 19,517.81
Terme échu le 30 septembre 1885 ………………………………………  223,059.37
Intérêts sur le terme à 5 % l'an du 1er octobre 1883 au
20 juin 1885 …………………………………………………………………   19,207.78
                                                                                                         _______________
                                                                                                         Frs 727,421.36
«Avec le règlement des deux trimestres échus le 30 septembre et le 31 décembre 1883, cette double dette sera éteinte.»
«Je n'oublie pas que ce dernier trimestre est seulement porté pour mémoire dans l'état de 1870, une liquidation générale et définitive devant être faite pour en fixer le chiffre exact.»
Le Président Salomon fait référence à l’indemnité aux anciens colons de Saint-Domingue, mais il a été montré dans l’article précédent [11] que l’indemnité avait déjà été éteinte dès 1878.
Le 2 juin 1893, le ministre français des Affaires étrangères, M. Develle,  écrivit au ministre d’Haïti à Paris, M. Box, une lettre dans laquelle il dit ce qui suit [18]:
« J'ai l'honneur de vous faire connaître que, à la suite de l'examen auquel les comptes de l'Emprunt d'Haïti de 1825 ont été soumis de la part de MM. Hamot, Inspecteur Général des Finances, et Gluck, Consul Général d'Haïti à Paris, qui avaient été désignés par les deux Gouvernements pour cette mission, le Gouvernement Français a décidé de considérer le Gouvernement Haïtien comme désormais libéré envers lui par les paiements effectués à ce jour pour le service des intérêts et l'amortissement de l'emprunt dont il s'agit.»
 «Le Gouvernement Français se réserve de prendre, en conséquence, les dispositions nécessaires en vue d'assurer le remboursement, dans un délai aussi rapproché que possible, de ce qui peut rester en circulation aujourd'hui des titres de cet emprunt.»
 
Voici comment Frédéric Marcelin, ancien ministre des finances du gouvernement du Président Florvil Hyppolite en 1892-1894, rapporta l’extinction de la l’emprunt de 1825 à la fin de 1893 [19]:
«Après bien des difficultés et des lenteurs compromettantes pour le crédit national, la question de la double dette française vient d'être réglée.»
«Depuis le 1er juillet 1887, le gouvernement estimait sa créance éteinte : toutes les valeurs de l'état général de la double dette ayant été intégralement payées, soit à échéance, soit avec des retards compensés par des intérêts calculés au taux de 5 %, sauf celle du dernier trimestre de 1883 portée pour mémoire à 228,059 fr. 87, mais dont le chiffre exact devait être fixé à la liquidation générale - or, à cette même époque il existait encore dans la roue, conformément au certificat de notre Légation à Paris, onze cent vingt-quatre numéros non amortis, valeur 1,124,000 fr. à notre débit.»
 
«Notre ministre à Paris était assailli journellement par les porteurs réclamant le paiement de leurs obligations, et qui, par le fait, ne connaissaient que nous. Il faut aussi ajouter qu'il avait été complètement établi par l'examen des comptes de la Caisse des Dépôts et Consignations que les 1,288,712 fr. 87 que M. Charles Noël, notre ancien consul, avait comptés à M. Laforestrie et que l'on croyait à tort ne pas figurer au crédit du Gouvernement, s'y trouvaient bel et bien. Pourtant, les experts ayant admis que la Caisse des Dépôts et Consignations avait fait une mauvaise application des remises du Gouvernement et que des intérêts excessifs avaient été payés aux porteurs de titres de l'Indemnité alors que la Caisse eût dû approprier ces fonds à l'amortissement de la dette, un compromis fut proposé sur la base que le Gouvernement français renoncerait formellement à toute demande ultérieure de remboursement, en ce qui concerne la double dette de 1825, qu'il considérerait comme définitivement réglée et accepterait comme siens les engagements envers les tiers représentés par les 1,124 obligations - 1825 qui restent encore dans la roue. Ce compromis, fortement appuyé par notre ministre à Paris, a été accepté par les deux Gouvernements.»
 
 
Pour terminer cet article, je présente le tableau suivant que j'ai bâti pour résumer le déroulement des paiements de l’emprunt de 1825. Il est axé sur les dates des tirages au sort des obligations retirées de la circulation. Ces informations permettent d’apprécier indirectement le flux des paiements d’Haïti et directement le flux des montants rendus disponibles aux obligataires de l’emprunt de 1825. Les montants versés par Haïti en intérêts sur l’emprunt et en intérêts pour retards de paiement sur l’emprunt ont été considérables; ils ne sont pas indiqués dans le tableau. Ils ont été payés intégralement par Haïti.
 



 
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Bibliographie
 
  1. François Blancpain (2001) – ‘‘Un siècle de relations financières entre Haïti et la France (1825-1922)’’ – Édition L’Harmattan, 2001, 213 p. – Voir pages 66-67.
  2. Frédéric Marcelin (1896) – Les chambres Législativesd’Haïti (1892-1894), Exposé général de la situtation – 1893 – Finances, pages 180-181                                                                                         [  https://archive.org/details/leschambreslgi00marc  ]