mardi 22 juin 2010

Haïti/Politique/Marc Bazin vu par Leslie F. Manigat

Source: haiti-nation.com, mardi 22 juin 2010, 1h 26min 01s

Ce n’est qu’un AU REVOIR, Marco !
par Leslie F. MANIGAT

Le départ pour l’éternité du camarade fraternel Marc Bazin, Marco pour les proches de sa génération et les familiers de ses relations les plus fréquentés, constitue une brusque accélération d’une vie qui ne demandait qu’a se prolonger encore pour la délectation des siens et sa joie épicurienne des plaisirs de l’existence, si la pernicieuse maladie n’avait pas si vite fait ses ravages là où il restait le plus fort, le cerveau atteint par des métastases fatales venues d’ailleurs. Car, dans les deux sens du terme, Marco était un cerveau. Un fort en thèmes, économiste de formation, spécialiste en affaires bancaires comme dominantes de son expérience pratique, un expert au service de la Banque Mondiale en Afrique puis dans la capitale américaine, à Washington, où ses services avaient mérité l’attention soutenue de Mac Namara, ce qu’il aimait rappeler.. Et un cerveau dans le sens qu’il s’était impliqué dans les jeux de la politique active plus souvent du côté de la gouvernance et de sa gestion que de l’opposition dont n’avait ni le gout ni le tempérament. Marco se voulait un homme de pouvoir et il l’a été de Jean-Claude Duvalier dont il voulait être le « mentor », à Aristide par lequel il s’est laisse tutorer dans une relation ambiguë, mais par choix politique délibéré, et illusoire pour avoir sous-estimé les incompatibilités du populisme lavalassien ascendant et allergique à une conciliation sans capitulation. La nouvelle donne avait changé la règle du jeu en faveur du tout ou rien, alors que Bazin continuait à penser aux « combinaziones » classiques et aux alliances traditionnelles sur la base des rapports de forces. Il lui est arrive à définir et a mettre en équation le salut du pays dans une coalition équilibrée entre Aristide et lui, avec les atouts de sa supériorité tactique qualitative adjointe aux forces belligérantes quantitatives titidiennes. Il appelait cela, me disait-il, sa « recette ». Illusion d’optique.

Un grand nom est efface dans la mémoire de l’actualité vivante transitoire, mais s’est inscrit, en sa pérennité historique, dans le monde de la mémoire historique haitienne parmi ceux qui ont fait notre histoire contemporaine. A d’autres de dire s’il était aimé, à d’autres encore de dire s’il méritait l’admiration dont il était l’objet dans le monde des économistes de ce pays, à certains d’expliquer pourquoi ils misaient davantage sur Rico, le frère, en maitière de sciences économiques appliquées. J’ai eu l’élan sincère récemment, de lui faire un éloge remarqué, fait insolite pour lequel il m’a exprime lui-même sa SURPRISE ravie. Mais je sais, et c’est ce que j’ai dit, que dans ce grand public lettre qui appréciait son talent, il y avait peu pour l’émuler et trop pour le critiquer. A sa manière, c’était un grand bonhomme et il me fallait le dire, moi surtout.

Il a tout fait pour plaire. Il se savait charmeur, du football à la Cite Universitaire de Paris où il se faisait une popularité de plaisance, aux salons de la coquetterie bourgeoise où l’homme du monde accompli trouvait ses complaisances comme en terrain conquis. Mais il y avait là un jeu ambigu, car Marco avait été et est resté un « quarante-sizard », sous Estimé où sa famille était aux affaires, puis sous Magloire où les affaires faisaient sa famille. Estimé était réputé austère, Magloire était un bambocheur. Il ralliait beaucoup de monde par sa manière. Notamment les Nordistes de l’ancienne aristocratie christophienne installés à Port-au-Prince et mal adaptés à la domination de la bourgeoisie dorée des bords de mer, des clubs sélects (genre Bellevue), et des résidences collinaires fleuries du haut patriciat du Bois Verna et de la Coupe. Marco, à partir de la détente sous Magloire, a voulu représenter l’opulence rassise de ces groupes, en s’érigeant en homme politique de droite sensible à leur éminence sociale et exploitant leur situation politique d’orphelins d’une candidature qui leur fut propre après 1946 sauf Déjoie. Bazin a pensé que c’était une place à prendre. Mais une partie de cette haute société nantie restait allergique au charme déployé par l’ancien quarante-sizard. Et celui-ci le savait. on était encore près de 1946. On se racontait assez souvent pour être connu dans les milieux les plus divers, l’incident de Jean-Robert Estimé à qui un membre de la haute société traditionnelle avait lance dédaigneusement au cours d’une simple plaisanterie d’amis devenue un mot malheureux : « Mon cher J-R, dans notre société, c’est moi qui vous fait sonner et pas l’inverse ! », c'est-à-dire comme à table, on sonne un membre du personnel domestique pour le service. Le pays a changé heureusement depuis 1946.

C’est dans ce contexte de changement que j’ai connu Marco le mieux. On fréquentait le Centre Démocratique que Léopold Berlanger abritait et Marc Bazin s’y positionnait comme homme de droite, un libéral en tout, pensée, idéologie, économie, société, culture, religion, profil identitaire, relations sociales. La droite libérale était son capharnaüm, tandis qu’il me regardait, avec ma position de centre progressiste comme trop dans la proximité de la gauche alors en vogue dans la jeunesse instruite et dans les milieux intellectuels. Mais c’est la que j’ai eu l’opportunité de rencontres avec l’homme politique. J’ai encore, en souvenir, la cordialité de nos relations d’adultes dont l’origine venait de l’enfance et de l’adolescence communes sous Vincent et Lescot et dont la foi centriste venait du danger des extrémistes du « rancher manioc ».

Il avait su constituer un mouvement féminin dans son parti, le MIDH, qui avait une présence active comme groupe de pression qui comptait dans l’imaginaire collectif avec des échantillons de valeur et remuants du deuxième sexe. Certains disaient que c’était ce qu’il y avait de meilleur dans le MIDH.

Mais le MIDH, c’était Bazin. Une valeur, un joueur, un destin. Une valeur au double titre de l’oracle économiste et de la figure de proue politique. Deux ouvrages de vulgarisation et certains de ses meilleurs discours et interventions ont consacre la réputation de l’oracle économiste et financier. Frédéric Marcelin avait été un premier crayon qu’il n’a pas pu être lui-même plus tard. Il avait la parole éloquente et le verbe rémininiscent. Son genre plus hautain que suffisant, était perçu comme arrogant. J’y voyais plutôt sa manière d’imposer une autorité savante. Paroles, paroles, paroles, il admirait Emile Saint Lot mais n’avait pas le style pour l’émuler. Il y suppléait comme joueur car c’était un operateur de talent.

Animal politique, même quand il n’avait pas le pouvoir, il savait en gérer la gouvernance, de Jean-Claude à Cedras. On l’a vu, premier Ministre, se coiffer du deuxième chapeau de chef de l’État sans le titre nominal, ce qui a manque a sa carrière. Quarante ans de présence politique dans les couloirs du palais national ou dans les dédales de la « non-opposition », position qu’il avait l’heur d’incarner même dans ses relations avec Aristide et les chimères lavalassiennes. Candidat à la présidence sans interruption de Jean-Claude à Titide, sans prison ni exil, capable d’une souplesse d’échine, Marco était capable de sourire de lui-même, et de ne pas se prendre trop au sérieux, performance qu’il partageait avec les hommes de théâtre quand il n’a pas hésite a monter sur scène dans des spectacles publics et dans des danses dont le souvenir n’a pas beaucoup aidé à sa réputation d’homme de pensée. Mais c’était péché de jeunesse.

Marco a eu une fidélité exemplaire, celle de son assurance tous risques, que les Américains allaient lui donner ce pouvoir haïtien qui lui était réservé par eux. Candidat des Américains, était une certitude chez lui, et je me rappelle une conversation avec André Louis, secrétaire-général de l’Internationale de la Démocratie Chrétienne (IDC), au Département d’État, quand à une question d’André Louis demandant pourquoi les Américains du State Deparment ne voulaient même pas considérer la candidature de Manigat pour son propre mérite, la réponse a été : « parce que nous appuyons déjà la candidature de Marc Bazin, c’est lui notre choix comme candidat pour Haiti ». Paroles qui m’ont été naturellement rapportées par le secrétaire-général de mon Internationale et grand ami personnel. Plus tard, rentré d’exil et candidat à la présidence haïtienne, comme Peña Gomez candidat à la présidence de la République Dominicaine, avec lequel j’entretenais depuis Paris d’excellentes relations personnelles, il m’a dit : Leslie, tu dois soigner tes relations avec les Américains, je lui ai raconté l’épisode André Louis, il a hoché la tête, et quand je l’ai assuré que nonobstant je ferai tout le possible pour être acceptable pour les américains le cas échéant dans mon combat patriotique pour la présidence de mon pays sans chercher a être leur favori, (ou comme on dit chez nous leur « sousou »), il m’a souri son accord de voisin amical compatissant. Nous rêvions alors, le candidat socialiste dominicain et le candidat social-chrétien haitien, de devenir une réplique Adenauer-De Gaulle de la réconciliation haïtien-dominicaine, ces deux frères ennemis héréditaires de l’histoire insulaire partagée.

Petit pays ! Je me souviens d’une note exprimant les préférences des anglais, des américains, et grosse surprise, des français (c’était, il est vrai, a l’époque de Hanotaux) à ne pas voir Firmin arriver au pouvoir en Haiti. Les options des grands !

Parfois, c’est simplement la perception d’un moment qui ne prend pas corps définitif. Le quotidien jamaïcain « Le Daily Gleaner » a publié à la chute de Jean-Claude Duvalier deux articles éditoriaux présentant la compétition attendue de Bazin et de Manigat comme le duel entre les deux plus grandes figures de l’actualité politique haïtienne. Rien de tel ne s’est produit, et cet antagonisme binaire polarisateur a fait place à un trop plein qui a caractérisé l’échiquier politique haïtien, projeté sur la scène politique mondiale.

Mais Bazin, pour revenir à nos moutons, était, avant de mourir, en train de se faire une cure de jouvence intellectuelle en se replaçant au lime light de l’actualité haïtienne, d’une part avec l’icône de la jeunesse à la mode , le fondateur de « Ticket » devenu récemment le rédacteur en chef du Nouvelliste, qui était en train de promouvoir en vogue soutenue des grandes figures contemporaines du monde de l’esprit chez nous, en commençant avec Georges Anglade, Monsieur « Géographie » lu et étudié dans toutes les écoles sur toute l’étendue du territoire haïtien, englouti dans l’horrible tragédie de 12 janvier 2010, mon ami et compagnon de « bout de route ». La promotion de ce groupe-caucus incluait déjà Marc Bazin comme devant être le second, lui aussi affublé d’un chapeau aux larges bords dont on se demandait s’il n’allait pas devenir emblématique. Et d’autre part, avec la place stellaire qu’il venait de se tailler avec le groupe Boulos dans un plan –marathon pour le sauvetage national d’Haiti, dont la partie économique et financière porte sa griffe. Bazin s’était fait réintroduire sous les feux de la rampe.

Il faut se rendre à l’évidence. La perfection n’étant pas de ce monde, Marc Bazin était un poids lourd du savoir et du pouvoir haitien, sans négliger d’être aussi, mais a un degré moindre, un homme de l’avoir, acquis avec mesure. Tous ces talents, toutes ces ressources, toutes ces opportunités, tout cet art de profiter des circonstances, même artificiellernent créées pour se maintenir au premier rang, et jusqu’à cette fragilité mondaine de sa cuirasse, tout lui servait de capital en politique. Qui n’a pas connu Marco dans notre génération, imprévisible et pourtant identifiable ? Hervé Boyer, Clovis Désinor, Max Chancy, Gerard Bissainthe, Marc Balin, Lucien Benjamin, Jean-Claude Bajeux, Ernst Verdieu, Jean Claude et Pierrot Riché, et, pour rester à l’intérieur de notre génération, son frère Rico et moi-même, le censurions bien à l’occasion, mais comme pour dire avec l’autre « Va, je ne te hais point ». Ce n’est qu’un triste Au REVOIR d’ami qu’exprime ma réaction émotionnelle devant la disparition d’un cadet de deux ans qui n’a pas perdu ses traces même en ne pas toujours avoir cultivé assidument les jardins d’une amitié restée pérennement souriante qui va manquer à l’appel du vécu quotidien quand on savait que tu étais là. Une génération s’en va progressivement, consacrons au départ d’un de ses membres les plus en vue, les plus contestés, les plus sérieux pour l’essentiel, les plus valeureux et les plus chargés de chaleur humaine souriante malgré la froideur d’un masque aristocratico-technocratique, « una furtiva lagrima ».

Et surtout, sachons garder la mémoire des hommes qui ont enrichi le patrimoine intellectuel et politique du pays d’Haiti.
LFM

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