Par Bernard Landry
Ancien premier ministre du Québec
Source:
ledevoir.com, jeudi
31 mai 2012
L'exceptionnelle mobilisation étudiante que nous vivons est en soi une manifestation civique positive : les jeunes s’engagent à nouveau. Espérons que cela laisse présager qu’ils iront à l’avenir aux urnes autant que leurs aînés et s’impliqueront sérieusement dans la politique. Évidemment, leurs justes causes n’autorisent par ailleurs aucune dérive anarchique, y compris la désobéissance civile qui ne sied aucunement à la situation actuelle ni à notre univers démocratique.
Curieusement, le présent nous ramène à certaines discussions des années 1960 qui sont toujours pertinentes. Comme président de l’AGEUM (Association générale des étudiants de l’Université de Montréal) et fondateur de l’UGEQ (Union générale des étudiants du Québec), j’avais, à l’instar de mes contemporains, des préoccupations proches de celles des jeunes d’aujourd’hui. J’ai même organisé la première grande et pacifique manifestation étudiante de notre histoire nationale autour de l’affaire Gordon.
Il n’y avait à l’époque aucun système public de prêts et bourses. Pour payer mes études, j’ai été officier dans l’armée canadienne comme Pierre Bourgault ! Les étudiants de l’époque ont donc mené à ce sujet une vigoureuse bataille qu’ils ont gagnée, grâce notamment à l’ouverture de Paul Gérin-Lajoie, ministre libéral visionnaire qui créa le régime qui est encore essentiellement en place. […]
Gratuité et salaire étudiant
Déjà, à l’époque, nous parlions de la gratuité scolaire et même davantage puisque certains camarades plus audacieux réclamaient un « présalaire » étudiant ! Par la suite, j’ai toujours été fier de voir que nos droits de scolarité étaient atypiques sur notre continent et que nous étions plus près à cet égard de l’Europe que de l’Amérique.
Comme ancien leader étudiant devenu ministre des Finances, je ne pouvais honnêtement pas les augmenter, même durant l’indispensable retour à l’équilibre budgétaire après un demi-siècle de déficit continu. Devant le désastre de l’endettement des jeunes diplômés américains, il est clair que l’inspiration européenne est plus sage et plus juste.
À la lumière de ce contexte historique, il y a peut-être une solution à l’impasse actuelle pouvant nous mener à un avenir stable et juste si l’on parvenait simplement à s’entendre sur quelques réalités incontestables et en tirer courageusement les conclusions.
Principes sacrés
D’abord quelques principes sacrés qui devraient faire l’unanimité et servir de fondement à la solution recherchée :
L’éducation jusqu’à la limite des talents et la volonté d’étudier de chacun constitue un droit individuel fondamental. Elle est liée aux chances de bonheur des humains de partout, particulièrement dans la complexité des défis contemporains.
L’éducation doit être également une priorité collective absolue et l’instrument fondamental de la création et de la répartition de la richesse dont dépendent aussi les chances de bonheur collectif, plus encore dans le contexte québécois du vieillissement spectaculaire de la population.
Seul un niveau d’éducation exemplaire peut nous conduire à l’efficacité et à la productivité nécessaires pour satisfaire les besoins des jeunes comme des aînés et continuer à élever notre niveau de vie. L’éducation nous a sauvés en 1960, elle devra le faire encore et plus dans les années à venir et devenir aussi dominante que pouvait l’être la religion avant les années 1960, ce qui n’est pas peu dire…
Il est indéniable que certaines formations universitaires assurent beaucoup plus de revenus à leurs diplômés qu’à d’autres et que certaines sont aussi beaucoup plus coûteuses que d’autres.
Il a été démontré que, pour de profondes raisons sociologiques, les enfants des plus riches profitent plus du bas niveau de nos droits de scolarité. Il s’agit d’un transfert des pauvres vers les mieux nantis, comme l’a expliqué l’économiste Claude Montmarquette.
Effort collectif de bonne foi
À partir de ces quatre constatations irréfutables, on peut esquisser une solution qui, avec un effort collectif de bonne foi, pourrait régler la crise actuelle et assurer une paix durable à l’avenir. D’ailleurs, plusieurs intervenants respectables (Guy Rocher, Louis Bernard, Claude Castonguay, Léon Courville et d’autres) ont mis de l’avant certaines composantes d’une solution rationnelle et réaliste et qui aurait les fondements suivants :
Gratuité scolaire complète - enfin ! - de la maternelle jusqu’à la plus haute diplomation universitaire suivant les talents et la volonté de chacun et chacune. Donc, aucune entrave matérielle d’accès aux études ne subsisterait, ni aux yeux des jeunes ni de leurs parents.
Par la suite, une fois les diplômes obtenus, un mode de paiement rétroactif des droits de scolarité tenant compte des critères suivants :
le coût réel des études par faculté et le niveau de revenu moyen lié à la profession pratiquée ou les revenus réels des diplômés. Ainsi, le chirurgien et l’ingénieur auraient à rembourser plus que l’anthropologue et le professeur du secondaire.
Bien sûr, de nombreuses modalités seraient à étudier et à mettre en place : calendrier d’application, montants en cause, temps de remboursement, contrats avec les étudiants étrangers. Aucun de ces rajustements ne crée cependant de problèmes insolubles.
Ces droits modulés devraient par ailleurs être maintenus globalement à leur niveau d’avant la hausse et indexés pour qu’ils restent à leur niveau déjà exemplaire.
À ce virage majeur pourrait s’ajouter l’acceptation de demandes sensées des étudiants : états généraux, transparence de gestion, normes, etc.
Une telle approche, qui demande courage et lucidité, conserverait au Québec une position exemplaire en matière de droits de scolarité et serait compatible aussi bien avec la justice sociale, la marche vers un savoir accru et la santé des finances publiques. Sans compter une salutaire réconciliation avec une grande partie de notre jeunesse. Cela vaut la peine d’être exploré.