Source: lenouvelliste, 21 août 2015
Après trois ans de service, l’ambassadeur des Etats-Unis en Haïti s’apprête à faire ses valises. Ann Pamela White était venue « enthousiaste », elle repart avec le même sentiment. Pour avoir côtoyé toute la classe politique haïtienne, Pamela White trouve nos politiciens « intelligents » et « passionnés » de leur pays. Le problème, ils s’accusent les uns les autres et n’arrivent pas à s’entendre sur un projet commun pour Haïti. En ce qui a trait à la corruption, Pamela White soutient qu'elle est à tous les niveaux. Il y a un prix à payer pour n'importe quoi ici.
L'Ambassadrice des États-Unis en Haïti, Pamela White
***
Pour se rendre au bureau de l’ambassadeur des Etats-Unis en Haïti, il faut passer sous deux détecteurs de métal de l’imposant bâtiment de l’ambassade à Tabarre. On prend l’ascenseur. Niveau 3. Après deux minutes d’attente, une porte s’ouvre, on tombe sur Ann Pamela White. Du haut de ses 67 ans, la diplomate a l’allure d’une adolescente. Elle est élégante. Large sourire, elle serre la main aux journalistes du Nouvelliste. Après quelques prises de photos, on se dirige vers son bureau. Photos de famille, photos officielles… des moments immortalisés sont accrochés au mur. Des courriers, des lettres de nomination signées du président Barack Obama, des présents, entre autres, ornent le bureau.
Avec l’ambassadeur américain, on aborde plusieurs points, notamment la question de corruption, un véritable fléau. Elle dit en parler avec le président Michel Martelly, le ministre de la Justice Pierre Richard Casimir entre autres. « Ils sont d’accord avec moi que la corruption existe à tous les niveaux, confie l’ambassadeur. On peut être en prison et acheter sa liberté. Il y a un prix pour n’importe quoi ici. Et ce, dans l’administration publique, dans le secteur politique, etc. »
Même pour des gens qui gagnent souvent les rues pour une raison ou une autre, la diplomate estime que quelqu’un paye toujours la facture. « Chaque fois que je vois une manifestation, je me demande qui a payé pour ça, lâche l’ambassadeur. De temps en temps, il y a des gens dans la rue, car il y a une cause pour qu’ils soient là. De mon point de vue, c’est quelque chose de bien. Mais s’ils sont là parce que quelqu’un a payé, c’est quelque chose de différent. »
Selon Pamela White, la corruption est parfois une question de mentalité. « Quand je parle de corruption en Haïti, je doute que l’on pense à la même chose que moi, estime l’ambassadeur. Je me souviens avoir été dans un ministère et quelqu’un devait me présenter sa nièce. Et elle était là à servir du café. Je lui ai demandé mais pourquoi votre nièce travaille dans votre bureau. Et il m’a dit que c’était bien. Mais c’est complètement anormal. Aux USA, c’est anormal, bien que ce ne soit pas quelque chose de méchant. Mais c’est une autre mentalité », détaille Pamela White.
La corruption, la diplomate en a aussi parlé avec l’ex-Premier ministre Laurent Lamothe. Pamela White était décue du départ du colonel Antoine Atouriste à la tête de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC). « Le colonel Atouriste m’a dit avant de partir qu’il avait des cas de corruption et qu’il était difficile de les transférer à la justice, regrette l’ambassadeur. Je crois que l’impunité est le grand problème. » « Les USA ont dépensé beaucoup d’argent dans l’ULCC. Et on a commencé à avoir des résultats quand brusquement l’institution a été débranchée par le départ de Monsieur Atouriste, déplore Pamela White. J’étais frustrée, parce qu’il y avait des cas qui n’ont pas été transférés à la justice. » Sa perception sur la classe politique haïtienne Pétillante, spontanée, Pamela Ann White a le contact facile au point de provoquer l’ire des adeptes de la vieille école, celle s'imaginant un diplomate comme la retenue fait homme. Le corset, ce n’est pas pour elle. Au terme de sa mission, comme d’autres diplomates avant elle, Pamela Ann White joue au petit jeu de la confidence bilan avec le journal. Avant de répondre à chaque question, Ann Pamela White sourit. Parfois, elle explose de rire avant d’arrêter brusquement. Sur ses rapports avec la classe politique, elle répond aux questions. Sans se départir de son sourire sonore. « J’ai parlé avec Préval, à Aristide, à tous les opposants, je les trouve chacun intelligent, intéressant, indique l’ambassadeur. Chacun a une passion pour Haïti, complètement différente peut-être, mais toujours intéressante. » Pour Pamela White, il n’y a pas un problème de compréhension, mais un problème d’accord et de désaccord. Les politiciens haïtiens éprouvent une « passion » pour le pays, mais quand il s’agit de s’entendre par exemple sur 10 points pour le faire avancer, c’est un casse-tête. « Si on pouvait réunir toutes ces intelligences et ces passionnés dans une salle et décider sur 10 choses qui sont les plus importantes pour le pays, ce serait bien, estime l’ambassadeur. Je crois que c’est possible. Mais si on reste toujours dans ces désaccords, sans trouver un moyen pour avancer ensemble, je crois que c’est une grande difficulté », ajoute la diplomate. « Les politiciens ne s’aiment pas. Ils s’accusent les uns les autres de menteurs, de passeurs de drogue, de trafiquants d’armes, etc. » 100 millions de dollars octroyés à la PNH en trois ans Évoquant la question de trafic de drogue, Pamela White souligne que son pays a beaucoup aidé Haïti en matière de sécurité. « Pendant les trois années, nous avons donné 100 millions de dollars pour la PNH (achat de matériel, entre autres), se félicite l’ambassadeur. Par exemple, pour les élections, on a donné 2.8 millions de dollars pour acheter des véhicules et du matériel de communication. La police avait besoin d’équipements pour mieux contenir la violence pendant les élections. » Aujourd’hui, l’ambassadeur trouve la police nationale plus professionnelle contrairement aux années d’avant. « La police nationale n’avait pas d’équipements, n’était pas très bien formée... Avec l’aide des Etats-Unis, la PNH devient une vraie force professionnelle », se félicite l’ambassadeur, « très satisfait » du travail des policiers pendant les élections. « J’ai travaillé pendant trois années pour les élections, malheureusement je n’étais pas là le jour du scrutin, poursuit Ann Pamela White. J’ai parlé avec quelqu’un de la MINUSTAH qui était là. Il m’a dit que la police avait fait du bon travail… La perception des gens est que la police est plus professionnelle. Nous avons dépensé beaucoup d’argent pour la police communautaire et cela marche très bien. C’est un grand succès. Maintenant on commence à travailler même avec le MENFP pour la sécurité des écoliers. » Pamela White insiste sur les supports de son pays à la police nationale. « On a beaucoup travaillé avec la BLTS (Brigade de lutte contre les stupéfiants), dit-elle au cours de l'interview menée par Frantz Duval . En deux années, on est passé à 206 agents. Ils font un travail incroyable. En 2015, ils ont intercepté beaucoup plus de drogues qu’ils n'en avaient interceptées les cinq années avant. Et c’est à cause des formations, du matériel, etc. La DEA est satisfaite du travail de la BLTS. » Et Pamela White encore plus. Et l'armée? «Haïti est un pays souverain », répond l'ambassadeur Alors que le président Michel Martelly a toujours fait part de son intention de former une armée, les États-Unis n’appuient pas une telle intention. « La position des États-Unis n’a pas changé, confie l’ambassadeur. Les USA croient qu’Haïti est un pays souverain. C’est aux Haïtiens de décider s’ils en ont besoin ou non. Mais pour nous, nous allons supporter la police comme nous l’avons fait auparavant. Après les millions de dollars que nous avons déjà dépensés dans la police, on ne va pas lui tourner le dos maintenant. » Après trois ans, Pamela White, qui « adore » Haïti, n’éprouve pas trop de regret. « J’aime beaucoup ce pays, c’est très difficile de ne pas aimer Haïti, confie l'ambassadeur. Elle a une culture intéressante. Ce pays me désole tous les jours, mais à la fin de chaque journée je me sens très contente d’avoir été ici comme ambassadeur. » Malgré tout, Pamela White va partir avec quelques frustrations. Mais elle s’est fait une idée : « On ne peut pas changer le monde en trois ans. » |