mercredi 27 juillet 2011

Haïti: Constitution quand tu nous tiens... !

NDCDP-Politique.- Bien qu'il date de quatre ans, le texte suivant est encore d'actualité.
Nous remercions Madame Emmanuelle Gilles de l'avoir partagé avec les internautes hier mardi 26 juillet 2011. Ce texte est cité dans le rapportde MM. Moïse et Hector sur la question constitutionnelle (1).

Source: lenouvelliste.com, 23 mars 2007
Par Me Serge H. Moïse av.
cabinetmoise@hotmail.com



Il y a environ vingt ans que la Constitution de 1987 était élaborée et promulguée dans une atmosphère d'euphorie collective. Les mises en garde de quelques voix autorisées furent vite isolées et étouffées sous les vivats d'autosatisfaction.

A peine quelques années plus tard, l'un de ses plus chauds artisans et promoteurs s'exclamaient les larmes aux yeux que cette dernière était la plus déchirée, malmenée, avilie, méprisée et violée. En effet, notre charte fondamentale depuis sa promulgation n'a jamais été appliquée ; quelques fervents partisans, profanes ou personnes avisées, mais de mauvaise foi, oubliant ou faisant d'oublier qu'une Constitution est un tout indivisible, ont le toupet d'avancer que notre loi mère aurait été appliquée en partie. Les férus de statistiques parlent d'application à dix ou quinze pour cent. On aura tout entendu !

Qu'aujourd'hui, il se dégage une velléité de se livrer à un exercice de réflexion sur le contenu et la portée de notre charte, ce n'est certes pas trop tôt et toute émotivité mise de côté, cela devrait se révéler de bonne augure pour la nation en devenir.

Des voix s'élèvent déjà dans différents secteurs pour exprimer davantage leurs appréhensions, leurs suspicions et leurs craintes, en lieu et place de suggestions novatrices. Alors que ce serait le moment idéal pour se parler franchement, sans faux-fuyants et de manière constructive.

La Constitution de 1987 est aujourd'hui âgée de vingt ans et, nous l'avons dit plus haut, elle n'a jamais été en application, le moins que l'on puisse faire est de réfléchir en toute honnêteté et objectivement, essayer de discerner ce qui en principe et en fait constitue des facteurs de blocage quant au développement politique, social et économique du pays.

Devons-nous envisager un amendement, une révision, une réforme ou le renouvellement de la loi mère ?

Il est évident que l'implication, la participation de tous les secteurs et composantes de la grande famille haïtienne s'avèrent indispensables et cette fois, espérons-le, au nom des intérêts supérieurs de la nation tout entière.

Point n'est besoin d'être grand clerc pour se rendre compte que notre charte fondamentale, élaborée dans les conditions et le contexte de l'après -Duvalier, si elle a consacré certaines des nobles aspirations de l'heure : Liberté de la parole, respect des droits et libertés, ne serait-ce qu'en théorie hélas, elle a aussi sombré dans les dédales de la mesquinerie improductive et rétrograde : exclusion des Haïtiens vivant à l'étranger, de ceux qui à tort ou à raison pouvaient être étiquetés comme étant des duvaliéristes zélés.

Rappelons pour l'histoire et la vérité que de nos vingt-deux textes constitutionnels, la plupart d'entre eux ont été faits sur mesure et dans l'intérêt d'un groupe ou d'une personne. Si l'occasion s'offre à nous pour enfin réaliser une oeuvre utile et nationale, c'est le moment plus que jamais où cette génération d'Haïtiens doit pouvoir s'élever à la dimension de sa tâche historique et grandiose afin de réaliser cette révolution culturelle susceptible de mettre le pays sur les rails du développement et du progrès.

Le caractère distinctif de notre époque est la lutte entre la politique et le droit, nous disait le Dr Fiore, est la lutte entre les intérêts temporaires et conditionnels des gouvernements et les principes stables du droit. Quant au Dr Niceto Alcala-Zamora, il nous rappelle que le progrès dans le droit consiste à ramener dans son domaine la solution des conflits, qui auparavant étaient soustraits à son empire. Il faut donc espérer, oeuvrer pour que dans cet Etat de Droit que nous avons la prétention de vouloir instaurer, le droit qui prime la force parviendra à primer la politique.

Notons que les spécialistes distinguent quatre types de Constitutions : les Constitutions-programmes, les Constitutions-lois, les Constitutions souples et les Constitutions rigides. La nôtre semble réunir deux de ces caractéristiques : elle se révèle une constitution-programme et d'une rigidité particulière, comportant un nombre excessif d'articles nettement en inadéquation avec notre réalité sociale, économique et culturelle, autant de difficultés d'application inhérentes à sa structure, son contenu et sa portée.

J. C. Dorsainvil définit le droit comme étant la faculté innée et inviolable qu'a l'homme de réaliser les fins pour lesquelles il a été créé. Toute politique nationale est nécessairement progressiste, ajoute-t-il. Aucune politique ne peut être progressiste si elle ne vise à répandre dans le peuple plus de lumière et plus de bien-être et à fortifier, avec la moralité, le sentiment du civisme et du patriotisme parmi les masses.

Edouard Laboulaye quant à lui affirme que la démocratie n'est qu'un mot si elle ne réside pas dans la souveraineté de l'individu. La première caractéristique du gouvernement démocratique est que le peuple administre ses affaires par l'entremise des mandataires qu'il se choisit librement et en connaissance de cause.

En connaissance de cause, est-ce toujours le cas en Haïti ? Selon Damasse Pierre-Louis, il est contradictoire que le peuple soit à la fois « misérable et souverain ».

Laissons parler J. C. Dorsainvil qui tenait ces propos, il y a déjà un siècle : Pour s'en tenir au niveau de ses intérêts, le peuple doit posséder certaines aptitudes sociales acquises par l'éducation et développées par la pratique des affaires. Parmi ces aptitudes sociales, il faut citer l'instruction qui a pour but d'éclairer ses choix, de lui inspirer le sentiment de ses droits et de ses devoirs.

De ce qui précède, il n'est pas dit qu'on ne puisse, quelle que soit la situation, faire l'apprentissage de la démocratie, encore faut-il que la Constitution et les lois de la République soient en adéquation avec la spécificité de la nation tout entière.

Le Président René Préval, dans son discours d'investiture pour son premier mandat, déclarait de façon péremptoire : Nous allons rétablir l'autorité de l'Etat. Or l'autorité dans l'organisation démocratique pour René Hubert, c'est une concentration, une synthèse de toutes les énergies émanées du corps social ; avoir conscience d'être un peuple, vouloir rester un peuple, mettre cette énergie, par la différenciation, dans un organe central, la voilà la source première et le secret de l'autorité politique.

Il n'est certes pas superflu de rappeler à nos parlementaires ce que Auguste Comte écrivait : « Le parlementarisme est un régime d'intrigues et de corruption où la tyrannie est partout et la responsabilité nulle part .» Il leur incombe donc à tous et à chacun d'entre eux de faire comprendre, tant sur le plan national qu'international, que les choses ont évolué et que, sous le ciel d'Haïti, les choses ont bel et bien changé.

La réforme en profondeur de la justice haïtienne s'avère aujourd'hui une impérieuse nécessité. Nos lois sont pour certaines inadaptées, d'autres obsolètes et pour cause, puisque nos codes, importés depuis 1836, ont rarement fait l'objet de mise à jour ; en matière de doctrine, la basoche haïtienne accuse une pauvreté pour le moins intolérable.

Il s'ensuit donc qu'il est temps pour l'Etat haïtien de mettre à pied d'oeuvre, et en permanence, la Commission de la Réforme du Droit qui regroupera : sociologues, historiens, économistes, juristes et autres compétences afin d'élaborer de manière scientifique, à travers des données fiables, le véritable Droit haïtien, en tenant compte bien sûr des paramètres régionaux et également de ceux de la mondialisation.

La justice élève une nation, elle est aussi le reflet de sa culture. La justice ne vit pas de scandales, elle en meurt. De toutes les corruptions intellectuelles, la plus nocive est celle de l'esprit juridique, car elle donne aux pires exactions une apparence de légalité. Dura lex, sed lex. Autant de phrases empreintes de grandeur et de noblesse. Pourtant aucune ne semble trouver une quelconque corrélation dans la première république nègre, toujours en quête d'orientation après deux cents ans d'indépendance.

Cette dichotomie doit disparaître du paysage haïtien pour faire place à l'instauration d'institutions bien structurées à l'intérieur desquelles des femmes et des hommes de qualité seront appelés sur concours et au mérite de sorte que le voeu de Montesquieu devienne ici aussi une réalité vivante pour que le pouvoir arrête le pouvoir dans la plus pure tradition républicaine.

Pour y parvenir et au cas où il se révélerait nécessaire de renouveler notre charte fondamentale, dans la perspective certaine que la prochaine sera religieusement respectée et appliquée à la lettre, pour le bien-être collectif, il faudra éviter à tout prix de violer celle-ci, même par consensus, faisant semblant d'espérer que celle- là ne le sera pas à son tour dans un avenir plus ou moins prévisible. Le renouvellement de la Constitution peut et doit être élaboré dans le respect de la doctrine et de la jurisprudence relatives au droit constitutionnel, autrement ce sera déjà le signe avant-coureur de la prochaine dérive institutionnelle.

Apportons cette fois-ci un démenti formel à Gustave D'Alaux qui avec mépris disait au siècle dernier : On doit rendre cette justice aux Haïtiens que s'ils font des Constitutions absurdes, ils excellent à les violer.

Soulignons à l'eau forte, si besoin était, les propos d'Anténor Firmin, qui, de son exil à St-Thomas, nous suggérait, pour le développement du pays, de mettre l'accent sur l'éducation, toujours l'éducation, encore l'éducation. Ce que confirme Michelet qui nous dit que l'éducation est la condition essentielle de l'évolution de toute société humaine (dans notre cas, une éducation axée sur les créneaux culturels haïtiens, avec, cela va de soi, ouverture sur le monde extérieur). A la question : Quelle est la première partie de la politique ? Il répondait : l'éducation . Et la seconde ? L'éducation. Et la troisième ? L'éducation et il ajoutait : J'ai trop vieilli dans l'histoire pour croire aux lois quand elles ne sont pas préparées, quand de longue date les hommes ne sont point élevés à aimer, à vouloir des lois... Faites des hommes et tout ira bien.

La Commission de la Réforme du Droit, pour doter le pays d'un pouvoir judiciaire indépendant, efficace et efficient, est incontournable, indispensable au développement de la nation sous toutes ses formes. Tractations et compromissions nous ont conduits là où nous sommes aujourd'hui, disons-le sans ambages au seuil de la faillite nationale.

Me Serge H. Moïse av.
__________________________



(1) Claude Moïse et Cary Hector : «Rapport sur la question constitutionnelle», scribd.com, 2009, 92 pages.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire