Par Gilbert Mervilus
Le poids de l’hypothèque du passé…
L’actualité du pays natal est chargée de leçons. Je travaillais à reconstituer l’ambiance de curiosité, fascinante, d’une heure de cours avec un ancien haïtien. Avec quelle facilité, nous nous promenions à travers les noms, les lieux et les faits de cette discipline à part, non conseillée aux paresseux, tout simplement intitulée «Histoire d’Haïti » !
L’actualité présente du pays natal et son cortège d’inepties nous commandent de secouer notre poussiéreuse mémoire, en sélectionnant quelques fiches utiles.
Lorsque notre directeur nous introduisit dans l’univers consistant des «Antinationaux» (Louis-Joseph Janvier), de «Ainsi Parla L’Oncle» (J. Price-Mars) et «Les Mensonges de Notre Démocratie» (Damasse Pierre-Louis), nous étions très loin de penser qu’une trentaine d’années après, nous aurions à vivre parmi et à affronter tant d’intellectuels faussaires[1] , dans une république étranglée par de trop lourdes mallettes[2] .
Soulignons que vers cette fin des années 70 et début 80, Dieudonné Fardin avait réimprimé pour la jeunesse, pratiquement toute la production littéraire de notre XIXème siècle, à un prix indiscutablement abordable.
Personnellement, j’aurais peut-être erré si, de très tôt, notre directeur au secondaire, Me. Antoine Guerrier, ne nous avait pas accompagnés, dans l’identification magistrale des crises structurelles et leurs lourdes conséquences démographiques (quant aux mouvements migratoires), à travers l’œuvre de Leslie F. Manigat, André Georges Adam et Roger Gaillard. Je crois entendre sa voix précise, nous «démontrant», patiemment, l’hypothèque du passé, chapitre remarquable de Paul Moral, dans «Le Paysan Haïtien».
Grâce à Facebook, je viens de retracer environ 500 anciens élèves de Me. Antoine Guerrier, éparpillés dans notre Diaspora.
Me. Edgar Marseille nous accompagna, en 1977-1978, dans les premiers chapitres de «L’Espace Haïtien»[3]. Nous étions encore loin de comprendre que notre diaspora n’est pas une lodyans !
Daniel Supplice, l’auteur du capital Dictionnaire Biographique, est retourné dans mes carnets de lecture, à un moment où la majorité des citoyens soucieux se préoccupaient, inconsciemment ou par simple curiosité intellectuelle, sur la généalogie, l‘histoire et l’urgent devenir d’Haïti. Il s’agissait, en effet de la troublante conjoncture 2001-2004.
Ce Dictionnaire reste un ouvrage fondamental pour répondre à de nombreuses questions, en ce qui concerne nos ancêtres, les parents et amis de nos ancêtres ou des dizaines de noms que nous croyions avoir écoutés dans le ventre de notre mère[4].
Je me rappelle une intervention spectaculaire – nous sommes au début des années 80…- d’un jeune sous-secrétaire d’Etat, qui dénonçait le trafic des enfants haïtiens vers l’étranger. Les réseaux d’alors utilisaient de savants mécanismes d’adoptions détournées. Ne disposant plus de ma vieille collection de journaux «Le Nouveau-Monde», j’évite les imprécisions autour de la date, mais le fait d’armes portait la signature de Daniel Supplice – nous étions entre novembre 1979 et avril 1980-. Un inquiétant aspect de nos affaires avait été clairement dénoncé…
Si quelque chose a bien réussi, au cours des cinquante dernières années en Haïti, pour le renforcement de la marche-arrière institutionnalisée, il s’agit de la profonde mise en place structurée, par les forces politiques et financières internes, dans le but de maintenir à l’écart la diaspora constructive. S’il vous est arrivé de saisir les sous-entendus et les non-dits des discours décousus, de différents secteurs, diaboliquement malveillants pour la plupart, qui enragent sur la nationalité de celui-ci ou le passeport de cet autre-là, armez-vous de courage cynique. Osez enquêter, dans les missions diplomatiques de Port-au-Prince, sur la couleur réelle du drapeau hissé dans le cœur de tel politicien (parlementaire ou autre !) et aussi vers quelle(s) lointaine (s) caisse(s) favorable(s), atterrissent leurs affections en deniers métalliques. Ah oui, amis et parents de la diaspora, de nombreuses interrogations pèsent sur notre patriciat «nationaliste» !
Affaiblir, par tous les moyens la participation civique active de la diaspora, dans les affaires de la république, est un programme sur lequel, les «ismes» d’hier et d’aujourd’hui, de la gauche patatiste à la droite moitrinaire, la communauté internationale, dans son ancien et nouveau formatage, se sont férocement entendus. Sur ce point, triste point, ils rappellent quelques grands révolutionnaires de 1946 et de 1957 : «A bas les mulâtres, vive les mulâtresses» !
Seule une puissante diaspora nous aidera…
En considérant, soigneusement, le bilan des actions posées par les grands «amis» d’Haïti, depuis 1986 et particulièrement à partir de leur golden era – de 1994 à nos jours –, nous devrions, sincèrement, nous préoccuper.
La modernisation du cadre juridique et la mise en marche de structures d’accueil crédibles, pour convenablement traiter notre diaspora, restent l’une des rares issues concrètes, pour prétendre entrer – déjà en retard !– dans le XXIème siècle. Seule une diaspora puissante nous aidera à casser notre devise opérationnelle : «En Haïti, les analphabètes sont un problème, et les intellectuels, un danger permanent… » !
Sans oublier que le cahier des histoires autour du pays natal ne manque pas de surprises : en Espagne, on me prenait pour «marocain» !
Gilbert Mervilus
Février-Mars 2012[1] Livre de Pascal Boniface, 2011
[2] Voir Pierre Péan, scandales polico-financiers en France, La République des Mallettes, Fayard 2011.
[3]Ouvrage célèbre de Georges Anglade, qui introduisit toute une génération aux sciences sociales modernes.
[4] Prononcé par le Dr. Carlo A. Désinor à la sortie de son ouvrage DANIEL (Fignolé), en 1987.
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