vendredi 8 janvier 2010

Haïti : 2010, année d’élections : analyse, réflexions et vœux.

Par Dr. Pierre Montès
7 janvier 2010


1. Introduction

René Préval termine son deuxième et dernier mandat. Le 7 février 2011, il devra passer le pouvoir à son successeur élu (ou sa «successeure» élue). Dit autrement, il devra, pour répéter un slogan cher à la mouvance dont il est issu: «raché manyòk li, baye tè a blanch». Et voilà que René Préval crée, tout d'un coup, à la cinquième et dernière année de son dernier mandat, un parti politique qu’il baptise : UNITÉ (INITÉ en créole). Si le candidat de l’UNITÉ, Jacques-Édouard Alexis, devait être l’élu des élections présidentielles de 2010, alors ce serait, pour René Préval, le cas de dire : «Apré nou, cé nou».

Or, l’expérience Lavalas-Lespwa (gouvernement s'appuyant sur l'anarchie) des 25 dernières années a échoué. Si l’UNITÉ prenait le pouvoir en 2011, il faudrait que ce soit le dernier acte de la tragédie Lavalas-Lespwa-Inité (L-L-I). Il faudrait qu’une révolution tranquille amène sur la scène géopolitique du sang neuf, des hommes nouveaux, sans aucuns liens avec la mouvance (L-L-I).

L’expérience L-L-I a apporté à Haïti deux occupations étrangères, a démantelé les FADH et a refusé de décentraliser le pouvoir et l’administration, a tenu à l’écart la diaspora, a laissé le champ libre aux ONG.

Dès 2016, ces hommes nouveaux mettraient fin pacifiquement (par les urnes) à la tragédie L-L-I, implanteraient alors un système politique nouveau dont les acteurs nouveaux soient totalement incorruptibles.


2. Confidences du Président provisoire Franck Sylvain (du 7 février 1957 au 2 ou 3 avril 1957)

Puisqu’on parle beaucoup d’élections, il me paraît opportun d’introduire ici quelques extraits du livre de Me. Franck Sylvain, intitulé «Les 56 jours de Franck Sylvain», Imprimerie Henri Deschamps, Port-au-Prince, Haïti, 1980, 160 pages. Ces extraits susciteront réflexions et méditations chez les hommes nouveaux qui seront appelés à faire la révolution tranquille.

Le 7 février 1957, le Président provisoire Franck Sylvain était élu par l’Assemblée nationale pour remplacer le Président provisoire démissionnaire Joseph Nemours Pierre-Louis. Franck Sylvain, était un ancien Juge de la Première Chambre Civile et Juge-Doyen au Tribunal des Référés au Palais de Justice de Port-au-Prince (1951-1955). Franck Sylvain était l’un des principaux artisans de la chute du Général Président Paul E. Magloire par sa célèbre «Consultation juridique» qu'il publiait en 1956 dans le journal Œdipe et dans laquelle il établissait rigoureusement que la date de la fin du mandat du Président était le 15 mai 1956 et non le 15 mai 1957 comme le prétendait ce dernier.

Le Président provisoire Franck Sylvain devrait organiser des élections générales vraiment honnêtes. Il prenait très au sérieux son rôle. Mais, il n’a pas réussi à organiser de telles élections car il fut renversé après 56 jours de bon et lourd labeur au Palais national.

«Et c’est sa bonne foi qui le fit renverser par des prétendus leaders civils et militaires qui ne désiraient ni le règne de la justice, ni celui de l’honnêteté» (Les 56 jours, p.75).

«À la vérité, aucun candidat ne désirait des élections vraiment libres. Ces honorables citoyens n’avaient pas confiance en eux-mêmes, ni dans les forces populaires dont ils prétendaient avoir l’appui. Mais chacun aurait préféré des élections dirigées pour lui-même.» (Les 56 jours, p. 109).

«C’était, plus d’une fois, de hauts fonctionnaires du Département d’État qui me demandaient de solliciter du peuple haïtien, par un plébiscite, une prolongation d’au moins trois ans de la durée de mon mandat… Et pour essayer de me convaincre, ils se faisaient accompagner d’un Président ou d’un Vice-Président d’une puissante Banque, la Chase Bank ou la City Bank disposée, mais résolument, à donner une aide considérable au gouvernement pour le bien-être du peuple haïtien. C’était aussi d’éminents Présidents ou Directeurs de compagnies d’industrie désireuses de faire des investissements, de venir installer des usines dans le pays. Quant aux journalistes, c’étaient toujours des hommes ou des femmes enthousiastes, avides d’interviews et rêvant, comme les autres, d’une chimérique demande de prolongation de mandat. Et tous, comme le jeune homme riche de l’Évangile, ‘ s’en allaient tout tristes‘, devant le rejet inexorable de leur proposition…» (Les 56 jours, p. 89).

Le Général Léon Cantave, chef de l’Armée d’Haïti, qui se faisait toujours accompagner «de son acolyte», le Colonel Pierre Vertus, commandant des Casernes, rendait souvent visite au nouveau Chef de l’État, Franck Sylvain.

«Président, lui dirent-ils à leur première visite, avec toutes ces passions en ébullition, il est peu probable que nous arrivions aux élections.» (Les 56 jours, p.108).

«Président, lui dirent-ils à une seconde visite, même si nous arrivons au jour des élections, elles peuvent se gâter. Dans ce cas-là, on ne sait jamais, il vous faudra dire : ‘J’y suis, j’y reste’.» (Les 56 jours, p.108).

Voici ce que le Président Sylvain leur répondit :

«Écoutez, messieurs ! J’ai toujours eu en horreur le mensonge. Et J’ai toujours considéré comme indigne un Chef d’État qui ment à son peuple. Le mensonge est dégradant. Le suffrage universel, les élections au premier degré, c’est une conquête sociale du peuple haïtien. Il est trop tard pour nous de juger que les Haïtiens ne sont pas mûrs pour de tels comices. J’ai pris l’engagement de faire des élections honnêtes, je les ferai. Et je me retirerai sitôt l’installation de mon successeur.» (Les 56 jours, p. 108).

Et Sylvain rapporte les propos d’un jeune capitaine de l’Armée d’Haïti (le nom n’est pas fourni) à lui transmis par un ami commun, Roger Lemoine :

«Ayez l’obligeance de dire au Président qu’il est indispensable qu’il désigne à l’Armée un candidat, que ce soit un chien, que ce soit un chat, dont nous devions assurer le succès. C’est une question de vie ou de mort pour l’Armée qui n’est pas encore réhabilitée de l’état d’abjection où l’avait fait descendre Paul Magloire, et qui demeure exposée aux coups mortels que pourrait lui porter un Président qui ne serait pas élu par elle. En ce moment, nous sommes désemparés, puisque le Président semble tenir absolument aux élections libres.» (Les 56 jours, p. 115-116).

À propos de ce message verbal à lui transmis, le Président Sylvain opine ainsi : «Je suis sûr qu’il avait pourtant compris, mon jeune ami d’alors, que c’est précisément cette réhabilitation que je recherchais avec amour pour cette Armée qui m’était chère, réhabilitation dont le Général, par calcul et par ambition, ne voulait pas du tout

Le Général Cantave finit donc par renverser le Président provisoire Franck Sylvain au début d’avril 1957, 56 jours après sa nomination le 7 février 1957. Sa famille et lui furent mis en résidence surveillée à l’une des trois belles petites maisons identiques situées à Turgeau et surnommées «Trois Bébés», pendant plusieurs longues semaines. Dans l'intervalle de six mois, à partir de la chute de Sylvain, trois autres gouvernements provisoires se succèdèrent. Le dernier des trois fut par un gouvernement formé de militaires ayant à sa tête le Général Antonio Kébreau qui organisa des élections générales par lesquelles le Dr François Duvalier sortit vainqueur le 22 septembre 1957.

Ce long préambule m’amène à considérer brièvement les élections présidentielles de 1950 à 2006 et à oser prédire les résultats des élections présidentielles futures en 2010-2011 et en 2015-2016.


3. Les élections présidentielles au suffrage universel de 1950 à 2015

L’année 2010, sur le plan politique, sera vraisemblablement une année de sélections/élections municipales, législatives et présidentielles.

À dire vrai, il n’y a jamais eu d’élections présidentielles au suffrage universel libres, honnêtes et démocratiques en Haïti, ni en 1950, ni en 1957, ni en 1987, ni en 1988, ni en 1990, ni en 1995, ni en 2000, ni en 2006. Y en aura-t-il en 2010-2011, en 2015-2016 ?

Si le candidat déclaré vainqueur est l’homme du puissant voisin, alors le résultat des éléctions présidentielles est catalysé par la logistique des Forces armées indigènes faisant partie de la Grande Armée. Dans ce cas, le candidat ne jouit pas d’une popularité clairement supérieure à celle de ses rivaux. C’était le cas de Magloire en 1950, de Duvalier en 1957, de Manigat en 1988.

Si le candidat déclaré vainqueur n’est pas l’homme du puissant voisin, il a alors été capable de mobiliser la Rue, malgré la présence sur le terrain des Forces armées indigènes. Le résultat du scrutin est alors dicté par la Rue dès le premier tour. Dans ce cas le candidat jouit d’une certaine popularité, mais il n’a pas confiance en ses forces propres pour gagner honnêtement les élections, soit au premier tour, soit au second tour. C’était le cas d’Aristide en 1990.

Si le candidat déclaré vainqueur est l’homme du puissant voisin, si de plus il est capable de mobiliser la Rue, et s’il n’existe pas de Forces armées indigènes capables de déployer sa logistique à l’échelle du territoire national, c’est alors la Rue qui dicte le résultat du scrutin dès le premier tour. Le candidat n’a pas confiance en ses forces propres pour gagner honnêtement les élections au second tour. C’était le cas de Préval en 1995, d’Aristide en 2000, de Préval en 2006.

En 1950, en 1957, en 1987, en 1988, il y avait les Forces armées indigènes qui agissaient sur le terrain pour garantir la victoire du candidat qui avait la faveur du puissant voisin (ou pour faire avorter le processus dans le cas contraire (novembre 1987)). En 1995, en 2000 et en 2006, il n’y avait pas de Forces armées indigènes, la Rue a donc pris leur place, à sa manière. En 1990, les Forces armées indigènes n’ont pas pu empêché à la Rue de dicter le résultat de l’élection d’un candidat qui n’avait clairement pas la faveur du puissant voisin.

À ce moment-ci (janvier 2010), on peut augurer qu’en 2010, la Rue réussira encore à dicter son choix aux élections présidentielles. Et à moins de revirement soudain, imprévisible, le candidat qui sera déclaré vainqueur au début de 2011, aura l’aval du puissant voisin et sera issu de la mouvance LAVALAS-LESPWA-INITÉ. Ce sera vraisemblablement : Jacques-Édouard Alexis qui réapparaît publiquement ces jours-ci pour s'exprimer ouvertement au nom de l'UNITÉ (Réf. Nouvelles à CPAM, 8 janvier 2010).
Et la période 2011-2015 sera probablement le dernier acte de la pièce macabre qui se déroule en Haïti depuis près d’une génération (1986-2016). En effet à tous les trente ans, d’une génération à l’autre, Haïti semble programmée pour être le théâtre d’une «Révolution» : 1956, 1986, et, peut-être 2016 ?

L’an 2016 marquera-t-il la fin du règne de l’Anarchie orchestrée par la mouvance Lavalas-Lespwa-Inité ?

Qu’est-ce qui devrait caractériser cette nouvelle génération qui, on l’espère, se manifesterait en 2016 pour libérer définitivement Haïti des griffes de la mouvance L-L-I et de l’influence séculaire des flibustiers, pour établir enfin un véritable partenariat entre ceux qui contrôlent l’économie du pays, le peuple, le puissant voisin et la diaspora ? Et la désoccupation d’Haïti, quand aura-t-elle lieu ?

4. La géopolitique haïtienne

Les politiciens démocrates qui voulaient le progrès de leur pays ont vu leur passage au pouvoir écourté brutalement. C’était le cas de Dumarsais Estimé, de Franck Sylvain, de Leslie François Manigat. Ils ne faisaient pas l’affaire des détenteurs traditionnels des leviers de l’économie du pays et résistaient aux tentations que leur présentaient les flibustiers indigènes et étrangers.

Les politiciens anarchistes qui, disant vouloir le bien du plus grand nombre, soulevaient les passions des démunis contre les intérêts des détenteurs des leviers de l’économie du pays, ont vu leur mandat écourté brusquement. Ils ne faisaient pas l’affaire des détenteurs traditionnels des leviers de l’économie du pays, ni celle de la classe moyenne et suscitaient de faux espoirs chez les plus démunis. Cependant, ils ont succombé aux tentations que leur présentaient les flibustiers indigènes et étrangers. C’était le cas de Jean-Bertrand Aristide.

Entre ces deux extrêmes, se situaient la plupart des politiciens (dictateurs ou non) qui ont joué le jeu des détenteurs des leviers de l’économie du pays et celui des flibustiers indigènes et étrangers.

S’ils brimaient les droits et libertés de leur peuple, ils arrivaient à se maintenir au pouvoir par la force (milice). C’était le cas des Duvalier.

Si le pays était (est) occupé, la dictature était (est) artificiellement empêchée par l’occupant qui se substituait (substitue) aux forces armées indigènes. C’était le cas de Préval I avec la Minuha; c’est le cas de Préval II avec la Minustah.

Les flibustiers indigènes sont des filous en cravate ou non, qui gravitent autour des détenteurs du pouvoir politique (dans l’ombre ou ouvertement). Ils drainent les ressources du pays à leurs fins personnels, siphonnent les recettes de l’État, aident les politiciens à s’enrichir.

Les flibustiers étrangers sont des filous qui drainent une part importante des fonds qu’ils aident l’État haïtien à obtenir (prêts ou dons) à des conditions désavantageuses pour le Pays. Ce ne sont pas eux qui vont donc empêcher les politiciens à s’enrichir à même ces prêts et ces dons.


5. Pour un nouveau système politique (décentralisé) avec de nouveaux (incorruptibles) hommes politiques en Haïti dès 2016

Oui, il faut qu’Haïti se débarrasse de la mouvance L.L.I. qui a lamentablement échoué en 1986-2010, et qui échouera en 2011-1016.
Il faut à Haïti une nouvelle génération d’hommes et de femmes qui résistent aux tentations des flibustiers indigènes et étrangers.
Il faut à Haïti une nouvelle génération d’hommes et de femmes qui prennent en main les destinées du pays fondé par Dessalines, Pétion, Christophe…
Il faut à Haïti une nouvelle génération d’hommes et de femmes qui fassent équipe avec les détenteurs des leviers de l’économie du pays et les haïtiens de la diaspora.
Il faut à Haïti une nouvelle génération d’hommes et de femmes qui fassent du développement des sections communales de chacune des 140 communes d’Haïti, leur première priorité (Exemples: le municipalisme du Professeur Bissainthe, ou la décentralisation de Paul G. Magloire (le MORN), ou les gouvernements départementaux décentralisés (avec à leur tête des Gouverneurs; voir mes écrits antérieurs, entre autres, sur ce sujet)).

Et que cette nouvelle génération d’hommes et de femmes se manifeste dès maintenant pour qu’elle parvienne à restaurer la souveraineté du pays (départ de la Minustah) et à éradiquer en Haïti toute dictature et tout pouvoir anarchique.

«Avance(z) en eau profonde… et lancez les filets». Luc (5, 4).

Dr. Pierre Montès
7 janvier 2010

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