jeudi 3 février 2011

Haïti : le candidat du pouvoir écarté du second tour de la présidentielle

Source: lemonde.fr, jeudi 3 février 2011
Par Jean-Michel Caroit

Port-au-Prince, Envoyé spécial - Le second tour de l'élection présidentielle en Haïti opposera Mirlande Manigat à Michel Martelly le 20 mars, ont annoncé jeudi 3 février des membres du Conseil provisoire électoral qui a partiellement inversé les résultats provisoires du premier tour.

Annoncés début décembre 2010, les résultats provisoires plaçaient Jude Célestin, le dauphin du président René Préval, en deuxième position derrière Mirlande Manigat. Ils avaient provoqué la colère des partisans du chanteur Michel Martelly et trois jours d'émeutes. Sur la base d'un rapport d'experts de l'Organisation des Etats américains (OEA), les principaux bailleurs de fonds, Etats-Unis en tête, ont exercé de fortes pressions pour exclure M. Célestin du deuxième tour, au profit du chanteur surnommé "Sweet Micky".

Mercredi 2 février, date annoncée pour les résultats définitifs, les rumeurs n'ont cessé de circuler. Dans la matinée, on annonçait le départ pour Washington du président du Conseil électoral provisoire (CEP), Gaillot Dorsinvil. "Je suis là, ne vous inquiétez pas, vous aurez les résultats avant minuit moins cinq", glissait-il, goguenard, à la mi-journée, dans ses bureaux installés dans un ancien gymnase.

CRAINTE D'UNE FLAMBÉE DE VIOLENCE

Blindés légers de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah), policiers haïtiens, un important dispositif de sécurité protégeait le siège du CEP. Des casques bleus et des unités de la police étaient sur le qui-vive dans plusieurs quartiers de la capitale où les écoles et les commerces fermaient leurs portes plus tôt que d'ordinaire. Il y avait foule dans les quelques supermarchés et épiceries restées ouvertes. Par crainte d'une nouvelle flambée de violence, les clients stockaient des vivres et de l'eau potable.

"C'est une cabale du club des ambassadeurs qui ont décidé que le candidat du président de la République devait être écarté", s'emportait un ministre, qui préférait rester anonyme. "On ne peut plus continuer à accepter que la pression de la rue décide les processus électoraux", ajoutait-il.

Dirigeant de l'Inité (Unité en créole), le parti présidentiel, le ministre de la justice, Paul Denis, dénonçait ouvertement la communauté internationale. "Ils ont tiré des résultats de leurs poches, ils agissent comme des colons, mais il y a des hommes et des femmes dans ce pays qui exigent d'être traités avec dignité", s'exclamait-il.

Un communiqué du Black Caucus, les élus noirs au Congrès américain, réclamant de nouvelles élections, a redonné du baume au cœur aux partisans du pouvoir. "La volonté du peuple d'Haïti n'a pas été représentée", soulignait ce communiqué, rappelant les multiples irrégularités qui ont entaché le scrutin du 28 novembre.

L'annulation des élections était aussi demandée par un rassemblement de partis d'opposition. Ils réclament le départ du président René Préval le 7 février, son remplacement par un juge de la Cour de cassation et la formation d'un gouvernement provisoire. Mais une manifestation pour appuyer cette "proposition de sortie de crise" n'a rassemblé que quelques centaines de personnes.

ÉVITER UN VIDE DU POUVOIR

Craignant un vide du pouvoir, la communauté internationale a demandé à M. Préval de rester à son poste au-delà de l'échéance constitutionnelle de son mandat, le 7 février. A condition que le CEP accepte la recommandation de l'OEA excluant Jude Célestin du deuxième tour, a insisté Hillary Clinton, lors de sa visite à Port-au-Prince dimanche 30 janvier.

La présence en Haïti de l'ancien dictateur Jean-Claude Duvalier et le possible retour de l'ex-président Jean-Bertrand Aristide ont ajouté à la confusion. "C'est moi qui ai lancé le processus démocratique en Haïti, quand on me traite de tyran, ça me fait rire parce que les gens souffrent d'amnésie", a dit Bébé Doc à Univision, une chaîne hispanophone diffusée aux Etats-Unis et en Amérique latine.

Des plaintes pour crimes contre l'humanité ont été déposées contre M. Duvalier, qui a été inculpé pour détournement de fonds publics et association de malfaiteurs peu après son retour à la mi-janvier. Il a affirmé n'avoir aucun compte gelé en Suisse, soutenant que les 4,6 millions d'euros bloqués appartenaient à une fondation créée par sa mère. Les autorités suisses ont annoncé l'ouverture d'une procédure de confiscation de ces avoirs "pour les restituer au peuple haïtien".

Le gouvernement haïtien a confirmé qu'un passeport diplomatique serait délivré à l'ancien président Aristide, en exil en Afrique du Sud depuis 2004, lorsqu'il en ferait la demande. Il a déclaré vouloir rentrer en Haïti pour se consacrer à l'éducation.

Jean-Michel Caroit

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