mercredi 10 juin 2009

Haïti / Salaire journalier minimum à 200 gourdes: Que pourraient faire les acteurs ?

Dans un article antérieur (1), nous avons expliqué comment la microéconomie peut aider à analyser le problème posé par l'imposition d'un salaire minimum. Il s'agissait implicitement d'une augmentation d'une ampleur limitée.

La loi Benoît fera passer, si elle est promulguée, le salaire minimum de 70 à 200 gourdes, soit une augmentation de (130/70) x 100% = 186% : c'est énorme.

Mais une telle augmentation, à notre avis, est plus que nécessaire; elle est plus que justifiée, car les écarts de salaires sont trop grands en Haïti.

Cependant, une augmentation de salaire, quelle qu'elle soit, sera (presque toujours) insuffisante dans le système politique actuel, en Haïti.

La décision du Président René Préval devrait se baser sur les aspects économique, social et politique de la question.

J'écoutais ce matin (10 juin 2009) les nouvelles d'Haïti sur CPAM préparées de mains de maître, comme d'habitude, par notre très cher journaliste Emmanuel Pierre (Pierre Emmanuel pour respecter une vieille habitude). Aux nouvelles donc, ce matin, un membre influent du secteur privé, intervenant sur le dossier, parlait d'une perte d'environ 15 000 emplois dans le secteur de l'industrie d'assemblage, si le salaire minimum passait de 70 gourdes par jour à 200 gourdes par jour.

Nous n'avons pas de données précises sur la question. Nous allons donc faire, en cours de route, des hypothèses très approximatives, incomplètes, mais plausibles.

Supposons que ces 15 000 ouvriers gagnent maintenant 70 gourdes par jour dans l'industrie. La somme de leurs salaires journaliers actuels correspond à:

S1 = 70 gourdes x 15 000 = 1 050 000 gourdes/jour

Supposons que cette somme de 1 050 000 gourdes soit égale au montant nécessaire aux employeurs pour augmenter le salaire journalier des ouvriers non révoqués de sa valeur actuel (w), inférieure à 200 gourdes, à la valeur fixée par la nouvelle loi, soit 200 gourdes/jour.

Pour ne pas révoquer ces 15 000 ouvriers, et, pour leur donner un salaire de 200 gourdes par jour, il faudrait que les employeurs disposent d'une somme additionnelle de:

S2 = 200 gourdes x 15 000 = 3 000 000 gourdes /jour.

Dit autrement, pour respecter la loi Benoît, sans mettre les 15 000 ouvriers au chômage, les employeurs devraient disposer d'une masse salariale (minimum) additionnelle décomposée comme suit: un montant équivalent à S1 pour porter à 200 gourdes le salaire d'un certain nombre de travailleurs (ne faisant pas partie des 15 000 en difficultés), plus, un montant (S2-S1) à ajouter au salaire S1 (actuel) des 15 000 ouvriers en difficultés. Donc:

delta MS = S1 + (S2-S1) = S2 = 3 000 000 gourdes/jour.

Cela représenterait, pour 300 jours de travail par an, un accroissement de la masse salariale de:

Delta MS = 3,00 millions de gourdes/jour x 300 jours/an
Delta MS = 900 000 000 gourdes/an, soit 0,90 milliard de gourdes/an,
ou encore, 75,0 millions de gourdes/mois.

Faisons remarquer, pour se faire une idée des montants en jeu, que le budget (de salaire) de l'État haïtien lui-même est, disons, pour les fins de la discussion, de l'ordre de 40 milliards de gourdes par année. L'accroissement de la masse salariale des ouvriers haïtiens du secteur privé, avec la loi Benoît, représenterait donc un pourcentage du budget (de salaire) national de l'État égal à:

(0,90 milliard / 40 milliards) x 100 % = 2,25 %.

Pour financer ce 0,90 milliard de gourdes par année, il faudrait que les différents secteurs en présence se mettent d'accord sur la façon de procéder, car les employeurs du secteur industriel ne semblent pas pouvoir, à eux seuls, y faire face.

Supposons que les patrons du secteur industriel privé consentent à transférer une partie de leurs profits aux travailleurs de leur secteur. Il s'agira d'établir avec eux le montant de cette nouvelle contribution, après l'analyse minutieuse, avec eux, de leurs documents comptables par l'Exécutif et/ou le Législatif.

Supposons que les patrons du secteur industriel, pour financer une partie de cette somme, arrivent à consentir un transfert de profits correspondant, disons, pour se fixer les idées, à un tiers de la masse salariale additionnelle requise, soit:

TPFSM = (1/3) x 75,0 millions de gourdes/mois= 25,0 millions de gourdes / mois.

Les deux tiers restants pourraient être financés par une nouvelle taxe sur les travailleurs des secteurs privés et publics d'Haïti. Appelons-la «Taxe-pour-financer-le-salaire-minimum», TFSM. Le produit d'une telle taxe correspondrait à:

TFSM = (2/3) x 75,0 millions de gourdes/mois = 50,0 millions de gourdes / mois.

On peut supposer qu'une telle taxe pourrait représenter, disons pour se fixer les idées, environ 2 à 3 pourcents (en moyenne) du salaire des salariés dont le salaire est supérieur à 200 gourdes par jour. On pourrait faire varier ce pourcentage en fonction du niveau de salaire: le taux de taxation serait plus élevé pour les salaires élevés, plus bas pour les salaires moins élevés.

Ainsi, une personne qui gagne 20 000 gourdes (US $ 500,00) par mois actuellement, paierait, au taux de 2 à 3%, 400 à 600 gourdes par mois (10 à 15 dollars US par mois) pour permettre aux 15 000 ouvriers de ne pas perdre leur emploi.

Bien sûr, il faudrait que le Ministère de l'économie et des finances (MEF), aidé de l'IHSI, établisse avec soin les statistiques nécessaires pour déterminer très correctement le pourcentage auquel devrait être fixée cette nouvelle taxe.

Les acteurs devraient s'asseoir pour discuter et trouver ensemble une solution de compromis au problème posé par la loi Benoît et permettre au Président Préval, au Premier ministre Pierre-Louis et au Parlement d'agir rapidement dans le dossier, à la satisfaction des travailleurs à très bas revenu.

« Il est minuit moins cinq ».

Dr. Pierre Montès
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(1)
http://jfjpm-economie.blogspot.com/2009/06/haiti-salaire-minimum-que-dit-la.html
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dernière mise à jour: 10 juin, 2009, 19h50

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