dimanche 14 juin 2009

Haïti / Salaire journalier minimum à 200 gourdes: Que pourraient faire les acteurs ? (suite)

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Le député Steven Benoît, père de la loi fixant le salaire minimum à 200 gourdes
Photo: Archives, Le Nouvelliste, 6 mai 2009
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Clifford Apaid, membre du Conseil exécutif de l'ADIH
Photo: Francis Concite, Le nouvelliste, 13 mai 2009

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Noma Powell, une des vice-présidents de l'ADIH
Photo: Francis Concite, Le Nouvelliste, 13 mai 2009
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Gilbert Durand, ingénieur industriel membre de l'ADIH
Photo: Francis Concite, Le Nouvelliste, 13 mai 2009

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Philippe Mathon, membre de l'ADIH
Photo: Francis Concite, Le Nouvelliste, 13 mai 2009
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Le Sénat a voté le 5 mai 2009 la loi sur le salaire minimum dans les mêmes termes que la Chambre des députés qui a convenu, en février dernier, de faire passer le salaire minimum de 70 à 200 gourdes. Avec ce vote, intervenu très tard dans la soirée du 5 mai 2009, l'Assemblée a surpris la commission des Affaires sociales du Sénat qui avait proposé 160 gourdes comme pour concilier les positions pour le moins extrémistes du député Steven Benoît, instigateur de la loi, et du secteur patronal (1).

« Je suis très heureux que mes trois ans d'efforts soient récompensés », a exulté le député Steven Benoît (1).

Le père de la loi sur le salaire minimum dont les enjeux économiques et sociaux sont énormes, dit craindre un dernier obstacle. L'exécutif ne serait pas enclin à une subite augmentation du salaire minimum dans un pays rongé par le chômage et la pauvreté. « La balle est dans le camp du président René Préval qui doit promulguer cette loi s'il n'a pas d'objection », a souligné le député de Pétion-Ville (1).

Avec 200 gourdes pour une journée de travail de huit heures, le salaire des ouvriers haïtiens va se rapprocher à peine de celui des ouvriers de la Guadeloupe qui gagnent environ six dollars américains par heure (1).

L'ADIH, le 13 mai 2009 a fait savoir, au cours d'une conférence de presse, que cinquante pour cent (50%) des 25 000 emplois existant actuellement dans le secteur des exportations de produits d'assemblage, en particulier du textile, seraient supprimés en Haïti si l'Exécutif promulgait la loi établissant le salaire minimum à 200 gourdes dans les termes que le Parlement l'a votée (2).

Le secteur du textile ne serait pas le seul à être paralysé par cette loi. Les membres de l'ADIH indiquent que d'autres secteurs industriels et de services du marché local connaîtraient également le même sort que celui du textile (2).

Un mois plus tard, l'ADIH se dit favorable à un salaire minimum de 125 gourdes par jour par ouvrier (3).

Pour M. Andy Apaid, selon le député Parick Joseph (Lespwa), même un salaire minimum fixé à 150 gourdes serait catastrophique pour les entrepreneurs du secteur du textile (3).

Les hommes d'affaires disent qu'ils seraient dans l'incapacité la plus totale de respecter un salaire minimum fixé à 200 gourdes (3).

Le député Steven Benoît, père de la loi sur le salaire minimum à 200 gourdes, a rappelé cette semaine les cinq documents que les industriels de l'ADIH doivent apporter à la rencontre dans les prochains jours avec le Parlement, notamment une liste des mesures d'accompagnement qu'ils souhaitent obtenir, une liste des vingt-six entreprises membres de l'ADIH ainsi que le nom du gérant responsable de chacune d'elles, l'état financier de chacune des entreprises composant cette association (3).
Le vendredi 5 juin dernier, le Président de la République, René Préval, et des parlementaires se sont rencontrés au Palais national pour discuter du problème posé par la loi Benoît. « Cette rencontre ne pourrait apporter rien de sérieux. Le président ne peut que promulguer la loi ou utiliser son droit d'objection », a déclaré le député Jean Marcel Lumérand en marge de cette rencontre. Le président René Préval, tout au long de cette rencontre, selon les propos du député Guy Gérard Georges, a fait montre de ses préoccupations qu'un salaire minimum de 200 gourdes n'occasionnerait pas des pertes massives d'emplois (3).
Laissés en compagnie des conseillers techniques du Président pour leur expliquer les conséquences néfastes de cette loi sur le pays, les parlementaires ont dit n'être pas convaincus des arguments de l'Exécutif. « Le président n'exerce pas de leadership, il s'est caché derrière le secteur patronal et laisse ce secteur faire le jeu », a renchéri le sénateur Youri Latortue (LAAA, Artibonite) (3).
Aux nouvelles radiodiffusée à Montréal le mercredi matin 8 juin 2009, un dirigeant du secteur privé, intervenant sur le dossier, parlait d'une perte d'environ 15 000 emplois dans le secteur de l'industrie du textile, si le salaire minimum passait de 70 gourdes par jour à 200 gourdes par jour (4).
En résumé, à ce jour, on peut raisonner, faire des analyses, avec les «données» suivantes:

  • Salaire minimum journalier actuel: w0 = 70 gourdes par jour par ouvrier.
  • Nombre d'emploi dans l'industrie du textile: L0 = 25 000.
  • Masse salariale (si chaque ouvrier gagne 70 gourdes par jour: MS0 = 70 x 25 000 = 1 750 000 gourdes par jour.
  • Augmentation de salaire selon la loi Benoît: 130 gourdes par jour par ouvrier.
  • Salaire minimum journalier selon la loi Benoît: w1 = 200 gourdes par jour par ouvrier.
  • Salaire minimum que le patronat dit pouvoir supporter: w2 = 125 gourdes par jour par ouvrier.


Il revient maintenant au député Benoît, au Président Préval, au Premier ministre Pierre-Louis et à leurs équipes techniques, d'analyser avec les patrons de l'industrie du textile, les documents comptables que ces derniers déposeront pour déterminer si les patrons peuvent payer un salaire journalier par ouvrier supérieur à 125 gourdes, voire un salaire de 200 gourdes par jour par ouvrier, sans perte d'emplois dans ce secteur.



En attendant, sous l'hypothèse que les patrons ne peuvent payer un salaire supérieur à 125 gourdes par jour, nous avons bâti le tableau suivant:


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Quelques éléments de solutions hypothétiques basées sur des données préliminaires

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Le tableau ci-dessus indique que:
  1. un salaire minimum de 125 gourdes par jour serait supporté par le patronat (textile) sans perte d'emplois dans ce secteur; la masse salariale passerait de 1 750 000 gourdes à 3 125 000 gourdes par jour; les patrons auraient alors consenti de réduire leurs profits de la somme de 1 375 000 gourdes par jour;
  2. un salaire minimum de 150 gourdes entraînerait environ 4 200 mises à pied, si aucune taxe n'était créée par l'État pour financer l'écart entre 150 gourdes et 125 gourdes par jour par ouvrier; les patrons ne pourraient maintenir à l'emploi que 20 800 ouvriers;
  3. si l'État créait une nouvelle taxe, que nous appelons ici Taxe pour Financer le Salaire Minimum (TFSM), pour honorer un salaire minimum de 150 gourdes, cette taxe devrait rapporter, pour le secteur concerné uniquement, un montant de 625 000 gourdes par jour pour ainsi sauver ces 4 200 emplois mis en danger par la loi;
  4. un salaire minimum de 200 gourdes entraînerait environ 16 250 mises à pied, si les patrons basaient la masse salariale sur un taux fictif de 70 gourdes par jour par ouvrier appliqué sur un nombre fictif de 25 000 emplois pour ensuite répartir le produit entre les 8 750 ouvriers effectivement maintenus à l'emploi à 200 gourdes par jour, et, si aucune taxe n'était créée pour financer l'écart entre 70 gourdes et 200 gourdes par jour par ouvrier;
  5. un salaire minimum de 200 gourdes entraînerait environ 9 400 mises à pied, si les patrons basaient la masse salariale sur un taux fictif de 125 gourdes appliqué sur un nombre fictif de 25 000 emplois pour ensuite répartir le produit entre les 15 600 ouvriers effectivement maintenus à l'emploi à 200 gourdes par jour, et, si aucune taxe n'était créée pour permettre de sauver l'emploi de ces 9 400 ouvriers en difficultés;
  6. pour qu'il n'y ait aucune perte d'emploi, si les patrons basaient la masse salariale sur un taux fictif de 125 gourdes appliqué sur le nombre de 25 000 emplois, et, si l'État créait une nouvelle taxe, TFSM, pour apporter les 75 gourdes par jour par ouvrier manquants, cette taxe devrait rapporter, pour le secteur concerné uniquement, un montant de 1 875 000 gourdes par jour pour ainsi sauver ces 9 400 emplois mis en danger par la loi.

Les conclusions avancées ici sont à prendre avec beaucoup de prudence étant donné que nous ne disposons que des informations très partielles et de «deuxième main», c'est-à-dire, par ouï-dire.

Dr. Pierre Montès
14 juin 2009
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N.B. La loi a été voté par la Chambre des députés le 5 février 2009 par 43 pour et 7 contre. (5)
On pourra lire également un article intéressant d'AlterPresse sur le salaire minimum datant d'août 2007 (6).
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//(1) Haïti: La loi sur le salaire minimum passe au Sénat, 5 mai 2009
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//(2) Haïti: L'ADIH rejette le salaire minimum, 13 mai 2009
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//(3) Le salaire minimum, d'une rencontre à l'autre, 12 juin 2009
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//(4) Haïti / Salaire journalier minimum à 200 gourdes: Que pourraient faire les acteurs ?, 10 juin 2009
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//(5) Haïti: Le salaire minimum à 200 gdes, 5 février 2009
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//(6) La loi Hope et la nécessité d’un salaire minimum vivable en Haïti, 15 août 2007
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Dernière mise à jour: 15 juin 2009

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