dimanche 6 octobre 2013

Quand la Cour constitutionnelle dominicaine retire leur nationalité aux descendants d’Haïtiens

Par Stefanie Schüler

Source: rfi.fr , 4 octobre 2013,23h42 - Dernière modification: 5 octobre 2013 0h06     


Manifestation de descendants d'Haïtiens à Saint-Domingue, devant le Parlement, le 12 juin 2013.
Manifestation de descendants d'Haïtiens à Saint-Domingue, devant le Parlement, le 12 juin 2013.
AFP PHOTO/Erika SANTELICES

 
 

Une sentence de la Cour constitutionnelle de la République dominicaine a provoqué une vague d’indignation. La plus haute instance juridique du pays a décidé de retirer la nationalité à des centaines de milliers d’enfants et petits-enfants d’immigrés nés sur le sol dominicain. Ce jugement concerne notamment plus de 250 000 descendants d’Haïtiens, qui deviennent ainsi apatrides.

Sur l’île d’Hispaniola, que se partagent la République dominicaine et Haïti, l’annonce a eu l’effet d’une bombe : le 26 septembre 2013, la Cour constitutionnelle de Saint-Domingue a décidé que « les enfants nés dans le pays de parents étrangers en transit n'ont pas la nationalité dominicaine ».
 
Jusqu'à la Constitution de 2010, le droit du sol était en vigueur en République dominicaine. Tous les enfants nés sur le sol dominicain avant 2010 avaient droit à la nationalité. Un droit auquel la Cour constitutionnelle a mis un terme avec sa dernière sentence, puisqu’elle s’applique de manière rétroactive : toute personne née depuis 1929 en République dominicaine de parents ou grands-parents immigrés devient de facto apatride.
 
Cette décision a de lourdes conséquences pour des centaines de milliers de Dominicains d’origine étrangère, dont plus de 250 000 enfants et petits-enfants d’Haïtiens. Pour de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme, la sentence viole le principe de non-rétroactivité de la loi d’une part, et « des textes internationaux relatifs aux droits à la nationalité » d’autre part, explique Bidry Dorsainvil, juriste haïtien et président de l’ONG Amiti.
 
« Ces Dominicains de descendance haïtienne. n'ont aucun lien, aucune attache avec Haïti et ne parlent pour la plupart même pas le créole », commente Bidry Dorsainvil. Mais même s’ils voulaient se retourner vers le pays de leurs ancêtres, ils se trouveraient devant des portes closes. Car « la Constitution de la République d’Haïti ne reconnait pas le principe de la double nationalité. Dès qu’un Haïtien accepte la nationalité d’un autre pays, il perd la nationalité haïtienne. »
 
 
« Des gens invisibles », une situation mal connue du grand public
 
La décision de la Cour dominicaine a provoqué une vague d'indignation. En signe de protestation, Haïti a rappelé son ambassadeur accrédité à Saint-Domingue. Les Nations unies se disent aussi « extrêmement préoccupées » par le sort de ces nouveaux apatrides.
 
« Leur situation reste mal connue du grand public, puisque ce sont des gens invisibles, sans statut légal, sans droits, sans accès aux services de base, tels que la santé, l’éducation ou le logement », déplore Cécile Pouilly, porte-parole du Haut Commissariat de l’ONU aux droits de l'homme.
 
Face à la vague de contestation provoquée par la sentence de la Cour constitutionnelle, les autorités dominicaines se veulent rassurantes. « L’Etat dominicain n’interdit à personne l’accès à la nationalité dominicaine », a déclaré le chef de la commission électorale, Roberto Rosario, chargé d’établir une liste avec les noms des Dominicains qui perdront leur nationalité. « L'Etat dominicain dit que le processus pour obtenir la nationalité se fait par le biais d'un plan de régularisation. »
Les organisations de défense des droits de l'homme soulignent qu'une procédure de régularisation existe d'ores et déjà en République dominicaine, mais que les autorités l'appliquent de manière arbitraire. Pour de nombreux analystes, la décision de la Cour dominicaine n'est qu'une nouvelle escalade dans une vaste campagne nationaliste dans le pays.
 
 
Une « longue histoire de discrimination raciale »
 
« Cette campagne nationaliste dans laquelle s'est lancé le gouvernement depuis au moins une dizaine d'années se situe dans une longue histoire de discrimination raciale à l'encontre des descendants d'Haïtiens », constate Wade McMullen, un avocat au Robert F. Kennedy Center for Justice and Human Rights, qui a défendu de nombreux Dominicains d’origine haïtienne.
 
« Les sentiments xénophobes sont importants en République dominicaine. Et le gouvernement essaye d'utiliser la force de la loi, maintenant qu'il est soutenu par une décision de la plus haute cour du pays, pour donner un air de légitimité à ce qui n'est rien d'autre que de la xénophobie et de la discrimination raciale. »
 
Depuis le début du XXe siècle, la migration haïtienne fournit une main-d’œuvre précieuse pour la République dominicaine, notamment dans les plantations sucrières du pays, mais aussi dans le secteur du bâtiment. La majorité de ces travailleurs migrants haïtiens, quelques 450 000 selon un dernier recensement, se trouvent en situation clandestine.
 
Les descendants d’Haïtiens nés sur le sol dominicain sont plus de 250 000. Au point de vue légal, ils se trouvaient jusqu’à présent en situation régulière en République dominicaine. Depuis le 26 septembre 2013, ils sont de facto apatrides. Des recours devant les instances internationales contre cette décision sont actuellement à l’étude, comme devant la Cour interaméricaine des droits de l'homme.
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► (RÉ)ÉCOUTER SUR RFI : Haïti et Saint-Domingue, les sans-papiers

 

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